Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
scènes se déroulent dans la plupart des provinces, de Beauvais à Chartres, de Rouen à Dijon, de Saint-Malo à Albi.
La mort partout, les chiens et les chats errants traqués comme gibier. Les orties, les herbes folles, cueillies comme toutes les baies que la pluie n’a pas pourries. Et les convois de blé, les greniers et les boulangeries attaqués, pillés.
Au moment où La Reynie s’est incliné avant de se retirer, Mme de Maintenon s’est levée.
— Quant à la misère, a-t-elle dit, nous ne l’ignorons pas ici et Sa Majesté voudrait de tout son cœur la soulager, mais qui peut commander aux éléments, aux cieux, sinon Dieu ? Nous le prions.
Mais est-ce que les prières rempliront les caisses ? Or c’est avec de l’or qu’on achète le blé. Et encore faut-il pouvoir le transporter.
Louis ne bouge pas. Il a l’impression que tout mouvement lui est impossible, comme si ses épaules, ses coudes, ses genoux et ses chevilles étaient prêts à se briser s’il tentait de se lever, de marcher.
Il est comme un arbre que la pluie et le gel ont gangrené.
Il murmure :
— Nous sommes pressés de tous côtés.
La guerre dévore l’argent. On a multiplié et vendu les fonctions jusque-là attribuées par élection. Les maires et les échevins doivent maintenant acheter leurs charges qui deviennent héréditaires. On a augmenté tous les impôts.
Il le sait : cela a davantage étranglé les sujets du royaume que desserré le garrot qui étrangle l’État.
Il faudrait la paix. Et il a envoyé le comte d’Avaux à Stockholm et l’abbé Morel à Bruxelles, pour ouvrir des négociations secrètes avec Guillaume III d’Orange, les princes allemands et l’empereur germanique, mais ces hérétiques veulent arracher au royaume toutes les villes réunies, les territoires annexés, le ramener dans les frontières de 1659, quand lui, Louis le Grand, ne gouvernait pas encore et que le cardinal de Mazarin décidait en souverain, signait la paix des Pyrénées.
Comment peuvent-ils imaginer que Louis le Grand va renoncer à ce que son règne a apporté au royaume ?
Il faut donc continuer la guerre et la gagner, ne pas se soucier de ces pamphlets que les imprimeurs d’Amsterdam, de Londres ou de Bruxelles répandent dans toute l’Europe, qualifiant le roi de France d’Antéchrist ou de Nabuchodonosor.
Il va leur rappeler qui il est.
Il part une nouvelle fois pour l’armée de Flandre, en compagnie du dauphin, des maréchaux de Luxembourg, de Villeroy et de Joyeuse.
Il ordonne au général de Catinat d’attaquer au Piémont. À Tourville de concentrer la flotte en Méditerranée. Et d’armer quelques navires pour aller jusqu’au Spitzberg, détruire les baleiniers hollandais.
Catinat à La Marsale défait les Impériaux, et Tourville au large de Lagos envoie par le fond plus de cent navires d’un convoi anglo-hollandais. Quant à la flotte partie pour le Grand Nord, elle coule un tiers des baleiniers hollandais.
« Sa Majesté, dicte Louis, est très satisfaite de ce que les officiers et les équipages ont fait en cette occasion, et elle s’en souviendra quand il y aura lieu de leur faire plaisir. »
Cependant, il sait que la victoire ou la défaite se jouera sur terre.
Il chevauche vers les Flandres, mais il se soucie des bords du Rhin. Il envoie dépêche sur dépêche aux armées qui sont entrées à nouveau dans le Palatinat.
« J’ordonne à mon cousin, le maréchal duc de Lorges qui commande mes troupes en Allemagne, de se rendre maître de Heidelberg, qu’il exécute mes commandements au plus tôt, qu’il ouvre la tranchée, qu’il force la ville, qu’il obtienne la capitulation du château. »
Il n’est ni ému ni troublé, il n’éprouve aucun regret quand des officiers, hésitants, lui rapportent que Heidelberg a été à nouveau incendiée, que les soldats se sont répandus dans la ville, qu’ils ont pillé, violé, massacré, enfermé les survivants dans la cathédrale, à laquelle ils ont mis le feu, ne rouvrant les portes qu’au moment où les cloches fondaient.
Ils ont alors profané les tombes des électeurs palatins, tranché la tête des cadavres qu’ils ont traînés dans les rues de la ville.
Et il s’agissait des corps du père et du frère de la princesse Palatine.
Comment Élisabeth Charlotte ne se lamenterait-elle pas, et ne condamnerait-elle pas « l’horrible cruauté qu’on a faite en dernier lieu à Heidelberg » ? Mais
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