Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
d’elle-même qu’elle a « un derrière effroyable, un ventre, des hanches et des épaules énormes, la gorge et la poitrine très plates ».
Louis la dévisage. Elle lance, provocante :
— À vrai dire, je suis une figure affreuse, mais j’ai le bonheur de ne pas m’en soucier.
Elle montre Monsieur, assis à une table de jeu.
— La fatalité veut, dit-elle, que les gens qui savent bien qu’ils n’ont plus que peu de temps à vivre le passent à se rendre malheureux eux-mêmes et les autres. Il faut qu’ils suivent une autre voie que celle de l’intelligence.
Il ne veut pas s’abandonner à cette fatalité de la débauche qui entraîne son frère, à cet égoïsme qui ne se soucie ni des autres ni de son âme.
Lui est le roi, il a des devoirs vis-à-vis du royaume et de ses enfants. Il veut que les bâtards légitimés, le duc du Maine et le comte de Toulouse mais aussi le duc de Vendôme, l’arrière-petit-fils d’Henri IV, viennent immédiatement, pour la succession, après les princes du sang.
Il sait, par les espions qui arpentent les galeries de Versailles, que la Fronde gronde, après cette mesure, parmi les ducs, que le jeune duc de Saint-Simon, dressé sur ses ergots, se dit ulcéré de cette violation des lois fondamentales du royaume, de cette humiliation infligée à la grande noblesse.
Et nombreux sont ceux qui s’indignent aussi du nouvel impôt, de la capitation, qui frappe chaque chef de famille, fût-il prince ou duc.
« Cette capitatio , se répandant généralement sur tous, sera peu à charge de chaque particulier », dit Louis dans sa déclaration royale. Les princes et les ducs sont aussi des sujets du royaume. Et l’État ne doit plus s’en remettre aux financiers, aux usuriers, habiles en affaires extraordinaires, et cherchant d’abord à s’enrichir à l’occasion de ces maniements d’argent.
Cela doit changer, parce que la guerre est de plus en plus coûteuse. Louis voudrait la conclure, mais les ennemis désirent le dépouiller de toute sa gloire, refouler le royaume dans ses anciennes frontières. Et il sent bien qu’ils espèrent qu’il sera affaibli par les critiques qui, à la Cour même, l’assaillent.
Guillaume III compte autant sur Fénelon que sur la flotte anglaise qui bombarde Saint-Malo, Dunkerque, Calais, ou sur les troupes qui s’emparent de Namur.
Il faut répondre, bombarder Bruxelles durant trois jours, afin que la ville, écrasée sous trois mille bombes et mille deux cents boulets rougis au feu, s’embrase.
Mais cette vengeance ne suffit pas. Louis s’impatiente.
Il sent que l’armée n’a plus le même allant.
Le maréchal de Luxembourg vient de mourir. Philippe, duc de Chartres, est trop jeune encore pour commander les armées. De plus, durant l’été 1695, il est terrassé par de fortes fièvres et Louis s’inquiète.
Il ne comprend pas la tactique suivie par le maréchal de Villeroi, le successeur de Luxembourg.
Villeroi a d’abord prétendu qu’une partie des troupes de Guillaume III, commandées par le prince de Vaudémont, étaient à sa merci, qu’il était sûr de les surprendre et de les vaincre.
Puis c’est le silence, rompu par une dépêche que Louis reçoit à Marly :
« La diligence dont M. de Vaudémont a usé dans sa retraite l’a sauvé de mes espérances que j’avais crues certaines. »
Il devine que Villeroi ne lui donne pas les vraies raisons de sa déception.
Il veut interroger le duc du Maine, qui commande l’aile gauche des troupes de Villeroi, celles précisément qui devaient faire mouvement pour attaquer Vaudémont.
Maine est devant lui, pâle, le visage agité de tics, le corps disgracieux, passant d’un pied sur l’autre, boitant, l’épaule basse.
Louis le presse de questions et le duc du Maine balbutie.
Son fils a eu peur d’attaquer Vaudémont.
Louis le congédie sans un mot, le regardant s’éloigner, songeant avec amertume aux espoirs qu’il a placés dans ce fils d’Athénaïs de Montespan et dont Mme de Maintenon a surveillé l’éducation.
Il pense à Philippe, duc de Chartres, le fils de Monsieur, qui s’est distingué dans toutes les batailles, et dont chacun se plaît à souligner les dons multiples.
Il éprouve un sentiment de solitude. Le destin d’un grand roi est-il d’être seul, de ne susciter que l’admiration, la jalousie ou la crainte ?
Il ne peut ainsi faire confiance à personne, qu’il s’agisse de ses fils ou même de
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