Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
indique que l’entretien est terminé. Mais au moment où Monsieur s’apprête à sortir, il le retient.
Il entend la voix de Mme la Palatine.
Elle doit être ulcérée de ne pas avoir été reçue. Il sait ce qu’elle va écrire, dire. Il a lu l’une de ses lettres, où elle se plaint comme à son habitude.
« Je suis à nouveau en disgrâce sans l’avoir mérité, a-t-elle écrit. On me traite ici d’une façon bien impolie : on me fait attendre tous les jours à la porte du roi avant de me laisser entrer. On me renvoie même souvent, quoique dans ce moment-là tous les bâtards du roi et Monsieur lui-même se trouvent dans la chambre. Si j’arrive jusqu’au roi, Mme Conne s’en va…»
Il se refuse à évoquer ces propos injurieux avec son frère.
Il ne veut pas que naisse l’un de ces conflits entre membres de la famille royale dont l’écho s’amplifie dans tout le royaume et jusque dans les cours étrangères. Car Élisabeth Charlotte n’est pas femme à se taire, à pleurer en silence. Elle remplirait ses lettres du récit de l’incident et de son indignation.
Il doit parler à Monsieur d’une autre lettre, plus inquiétante et que, grâce au cabinet noir du lieutenant général de police, on lui a remise.
— Votre fils, mon neveu, le duc de Chartres, commence-t-il.
Il montre la lettre. Elle est du marquis de Feuquières, un méchant homme qui se plaît au mal pour le mal, qui autrefois a été compromis, dans cette affaire…
Louis murmure.
Il évoque l’affaire des Poisons. La Chambre ardente. Il ne cite pas le nom d’Athénaïs de Montespan.
Cette lettre du marquis de Feuquières est adressée à l’une de ces sorcières qui vendent poudres, drogues, philtres d’amour.
Le lieutenant général de police a trouvé chez elle une lettre de Feuquières. Le marquis y rappelle la liaison que le duc de Chartres entretient avec une fille de cabaretier devenue l’une de ces jeunes danseuses de l’Opéra qui se vendent au plus offrant. Le duc de Chartres l’a logée, comme une duchesse.
— Il aurait fait, selon Feuquières, un « infâme achat », chez la sorcière.
Louis voit le visage de son frère se décomposer. Il le rassure. Le lieutenant général de police a retiré la lettre avant que les juges n’en prennent connaissance.
— C’est votre fils, répète Louis, c’est mon neveu. C’est un prince de sang royal.
Monsieur baisse la tête, balbutie.
— Peut-être, dit Louis, le duc de Chartres voulait-il, lui qui est curieux de tout, de la guerre et des femmes, d’alchimie et de musique, apprendre le métier de sorcier ?
Il interrompt d’un mouvement de tête les propos indignés de son frère qui jure qu’il va sermonner son fils, le punir.
— La sorcière, dit Louis, est entre les mains de la justice. Elle sera brûlée vive. Si je n’avais retiré cette lettre, le duc de Chartres…
Il fait un effort pour se lever, et il grimace tant la douleur est vive.
Son frère l’assure de son amour, de son dévouement, de sa gratitude. Louis se rassied. Il ne peut porter son corps.
— J’ai de l’amitié et de l’estime pour le duc de Chartres, dit-il. J’ai confiance en lui.
Il hausse le ton.
— Il ne doit pas hanter de telles canailles. Il doit choisir la vertu et non la débauche.
Il fixe son frère, qui baisse la tête et s’éloigne, marchant pesamment, ses dentelles de femme couvrant son habit.
Louis se souvient qu’il avait écrit pour le dauphin, quand il se préoccupait de lui enseigner le métier de roi : « Les rois sont souvent obligés à faire des choses contre leur inclination. Il faut qu’ils châtient souvent et perdent des gens à qui naturellement ils veulent du bien. L’intérêt de l’État doit marcher le premier. »
Il sait que son frère n’entendra pas la leçon qu’il vient de lui donner et ne se réformera pas.
Et qu’il ne le condamnera pas, puisque le sang royal coule dans ses veines. Et qu’il est sacré.
17.
Louis a voulu qu’on tire un feu d’artifice somptueux afin que les gerbes multicolores illuminent le ciel de Paris, et que tous les sujets de la capitale puissent voir se dessiner dans la nuit la silhouette d’Alexandre tranchant le nœud gordien.
Car la paix est enfin signée avec le duc Victor-Amédée de Savoie.
L’alliance du duché avec Guillaume III d’Orange et les Impériaux est rompue.
On a restitué à la Savoie Casal et Pignerol, mais il fallait ce premier
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