Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
et politique comme si elle avait trente ans. Il y a ici un envoyé de sa cour qui est premier écuyer de sa mère et qu’elle connaît donc bien. Mais elle fait semblant de ne point le connaître, le regarde à peine et ne lui adresse pas la parole, de peur que le roi ne le lui reproche et n’aille croire qu’elle est toujours attachée à sa patrie. Cela ne me plaît pas, car un bon naturel et caractère ne doit point cacher ses propres sentiments et rougir d’aimer ses parents et sa patrie. »
Il n’éprouve aucune colère contre Élisabeth Charlotte. Il a de la compassion pour elle. Elle est grêlée, si grosse, si laide, si vieille déjà, qu’il lui pardonne sa rancœur, sa jalousie.
Il écoute Marie-Adélaïde chanter, et cela suffit pour qu’il se sente heureux.
Elle est la preuve de la bienveillance de Dieu pour le royaume de France.
18.
Il rit et il s’en étonne.
Les grimaces de Marie-Adélaïde de Savoie, ses cabrioles dans la chambre de Mme de Maintenon, sa curiosité, ses élans de tendresse, son avidité aussi, la manière dont, à table, elle lui arrache parfois un fruit confit, une écorce d’orange enrobée de sucre glacé ou bien une pâte de groseille, le distraient un instant, effacent un peu de cette anxiété qu’il réussit à cacher mais qui l’oppresse.
Il lui semble qu’il vit dans une pénombre inquiétante, et que seule Marie-Adélaïde, cette enfant bientôt épouse du duc de Bourgogne, rappelle qu’il existe une lumière joyeuse.
Mais son rire s’estompe vite.
Il n’ignore pas cette misère qui colle au royaume comme une gale, une peste.
Les sujets, tous les sujets, des miséreux aux ducs et aux princes, protestent contre le poids des impôts, la cherté des offices, et pour les plus pauvres se rebellent contre la hausse du prix du pain.
Mais Dieu, s’il a voulu qu’une petite princesse vienne éclairer les jours de Versailles, de Fontainebleau ou de Marly, n’a pas fait cesser le dérèglement des saisons.
Les pluies torrentielles noient les champs, pourrissent les blés en herbe, font déborder les cours d’eau, inondent villes et villages, emportent les ponts. Et les vents en bourrasques déracinent les arbres et arrachent les toits.
Il prie, mais il reçoit des libelles qui l’accusent d’être – on ose lui écrire cela ! – « un niais pour tout ce qui touche à la religion », parce qu’il n’aurait jamais lu quoi que ce soit concernant l’Église, « se contentant de croire bonnement ce qu’on lui débite là-dessus ».
On lui reproche plus durement encore de ne pas aimer Dieu. « Vous ne Le craignez même que d’une crainte d’esclave. Votre religion ne consiste qu’en superstition, et en pratiques superficielles. »
Il sait bien d’où viennent ces critiques, ces calomnies et ces rumeurs.
Il y a les huguenots qui n’ont pas renoncé à leur hérésie.
Il y a ces disciples de Mme Guyon, qui professent un « pur amour de Dieu » sans les œuvres et les prières.
Et enfin il y a tous ceux qui haïssent Françoise de Maintenon.
À la Cour même, il sait bien qu’on accuse son épouse d’hypocrisie, de volonté de gouverner le roi à sa guise, au mieux de ses intérêts et de ceux des prêtres qui l’entourent.
On murmure qu’elle s’est emparée de l’éducation de Marie-Adélaïde de Savoie pour accentuer son emprise sur le roi qui s’est entiché de cette petite. Et Mme de Maintenon se sert d’elle comme d’une poupée avec laquelle elle tient le roi.
Ce sont ces propos-là qui le blessent le plus. Et le lieutenant général de police lui apprend que les comédiens-italiens jouent dans leur théâtre de Paris une pièce intitulée La Fausse Prude et que le public s’y presse, et qu’après trois représentations seulement le succès risque de devenir triomphe.
Il ordonne qu’on ferme aussitôt le théâtre, et qu’on chasse les comédiens-italiens du royaume.
Mais en dépit de la joie que Marie-Adélaïde lui offre, ce n’est que lorsqu’il reçoit les dépêches envoyées par les négociateurs qui tentent depuis plusieurs mois de conclure la paix avec Guillaume III d’Orange et d’Angleterre, l’Espagne et l’Empire, qu’il a enfin l’impression que l’obscurité se dissipe.
Le traité va être signé au château de Nieuwburg qui appartient aux princes d’Orange, non loin du village de Ryswick.
Cette paix, il sait qu’il la paie cher.
Il ne conserve d’important
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