Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
que Strasbourg et la partie ouest de l’île de Saint-Domingue. C’est bien peu pour près de dix années de guerre et de victoires, de réunions et d’annexions ! Il doit même reconnaître Guillaume III d’Orange comme roi d’Angleterre ! On peut donc être hérétique et souverain, se soumettre à un Parlement qui a le pouvoir de vous déclarer roi.
Il ressent cela comme une défaite dans cette paix qu’il doit pourtant présenter comme une victoire.
Il veut qu’on célèbre un Te Deum à Notre-Dame en ce 21 septembre 1697, puis le 30 octobre quand l’Empire à son tour conclut la paix.
On tire un grand feu de joie sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Il passe en revue les gardes du corps et les mousquetaires. La foule se presse et cependant il lui semble qu’elle ne manifeste aucun enthousiasme.
Il sait que la princesse Palatine est allée, répétant dans les galeries et les salons de Versailles : « Il faut qu’il y ait un sort sur cette paix générale ; que nulle part on n’en reçoive la nouvelle avec joie quoi qu’on l’eût désirée si longtemps, car le peuple de Paris n’a pas voulu non plus s’en réjouir ; il a fallu pour ainsi dire l’y contraindre. »
Louis s’irrite de ces propos, de ces réserves.
La princesse Palatine dont il a défendu les droits, obligeant l’électeur du Palatinat à lui verser des dédommagements, a essayé d’obtenir pour le margrave de Bade un traitement de faveur.
Il a refusé. Elle l’a harcelé, de plus en plus amère, comme si son âme, jadis légère, avait changé de la même manière que son corps.
Peut-être aussi ne supporte-t-elle plus que Monsieur dilapide sa fortune avec tel ou tel mignon – qu’il comble de faveurs – ou bien qu’il racole, au vu et au su de tous, les laquais dans les antichambres de son château de Saint-Cloud.
Mais il entend aussi les soupirs de Mme de Maintenon, qui elle aussi semble regretter cette paix, alors qu’elle y aspirait.
Maintenant, elle dit que c’est « une espèce de honte de restituer ce qui a coûté tant d’efforts et de sang ! ».
Il le sait !
Mais comment ne voient-ils pas, ceux qui sont insatisfaits du contenu du traité, qu’il fallait en finir avec cette guerre-là, en donnant un coup de lancette dans l’abcès, pour se débarrasser de cette maladie, la ligue d’Augsbourg, retrouver la vigueur, penser à une autre partie, celle qui depuis toujours préoccupe les rois de France : la lutte contre l’empereur germanique pour l’empêcher de contrôler l’Espagne, et de tenir ainsi la France entre les mâchoires germanique et espagnole.
Il pense ainsi à chaque instant à l’avenir du royaume et de sa dynastie. Il en a la charge.
Et il est fier et heureux de le voir s’incarner dans ces deux jeunes gens, Marie-Adélaïde de Savoie et le duc de Bourgogne qui, le samedi 7 décembre 1697, s’avancent dans la nef de l’ancienne chapelle de Versailles.
Il a exigé que cette cérémonie et les fêtes qui suivront étonnent par leur magnificence toutes les cours et tous les peuples d’Europe.
Il veut que les habits et les parures soient d’or, que diamants, rubis et émeraudes resplendissent sur les jaquettes et les robes.
Que les Grands s’endettent s’il le faut !
Il préside après la cérémonie religieuse le banquet où l’on sert plus de cent plats.
Puis toute la Cour assiste au plus grand feu d’artifice tiré à Versailles.
Enfin, il entre avec la famille royale dans la chambre où vont se coucher les deux jeunes mariés.
Mais le mariage ne doit être consommé que des mois plus tard.
— Je ne veux pas, dit Louis, que mon petit-fils baise le bout du doigt de sa femme jusqu’à ce qu’ils soient tout à fait ensemble.
Et ils sont trop verts encore pour l’être.
Il attend donc que le duc de Bourgogne se relève, se rhabille et retourne coucher chez lui.
Quatre jours plus tard, le mercredi 11 décembre, il s’avance, précédant le jeune couple dans la galerie des Glaces que les trois rangées de lustres, les centaines de bougies, les candélabres, les flambeaux illuminent d’un bout à l’autre.
On danse le menuet, puis vient le moment de la collation.
Il voit cette foule enrubannée, couverte d’or et de pierres, se précipiter, oubliant l’étiquette et le rang.
Il aperçoit son frère, bousculé, battu et foulé dans la presse des courtisans qui s’agglutinent aux portes pour pouvoir entrer.
Il avance
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