Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
dit :
— J’ai décidé.
Puis il précise qu’il faut garder secrète sa décision.
Il n’a pas encore prononcé les mots : « J’accepte le testament de Charles II. »
Il ne veut pas les dire.
Il se tourne vers le dauphin.
— Les droits de votre mère, dont les vôtres et ceux de vos fils, seront respectés, dit-il seulement.
Il attend d’avoir la copie du testament du roi pour annoncer officiellement qu’il l’accepte. Mais il sait que la Cour bruit de rumeurs, que dans une lettre à sa tante la princesse Palatine, toujours aux aguets, écrit :
« Hier tout le monde se disait à l’oreille : “N’en parlez pas mais le roi a accepté la couronne d’Espagne pour M. le duc d’Anjou.” Je me tus quand j’entendis à la chasse le duc d’Anjou dans un chemin derrière moi, je m’arrêtai et dis : “Passez grand roi, que Votre Majesté passe.” Je voudrais que vous ayez vu l’étonnement de ce brave enfant que j’étais au courant. Le duc d’Anjou a déjà tout à fait l’air d’un roi d’Espagne, il rit rarement et conserve toujours un air de gravité. »
Louis reçoit Colbert de Torcy, qui fait état de l’agitation que les rumeurs provoquent chez les ambassadeurs d’Angleterre, des Provinces-Unies et naturellement chez le représentant de l’empereur germanique.
— La couronne d’Espagne transférée dans la maison de France, ajoute Torcy, c’est l’un des plus grands événements qui soit arrivé depuis plusieurs siècles. Et, Votre Majesté ne l’ignore pas, le plus capable de renouveler incessamment une guerre générale.
Louis ne répond pas. Torcy le sait et l’a dit, dès le 9 novembre, le choix n’est pas entre la paix et la guerre, entre le partage de la succession et l’acceptation du testament, mais entre une guerre ou l’autre, l’une avec l’Espagne pour alliée et l’autre sans elle.
Il ne veut plus attendre pour annoncer son choix.
À Versailles, le 16 novembre 1700, Louis fait ouvrir les deux battants de la porte de son cabinet.
Les courtisans en foule se pressent pour entrer comme il les y invite. Il s’approche du duc d’Anjou qu’entourent ses deux frères, le duc de Bourgogne et le duc de Berry. Leur père, Monseigneur le dauphin, se tient à quelques pas.
Louis regarde son fils et ses petits-fils. Il est ému et fier.
Il dit, montrant le duc d’Anjou :
— Messieurs, voici le roi d’Espagne. La naissance l’appelait à cette couronne. Toute la nation l’a souhaité et me l’a demandé instamment, ce que je leur ai accordé avec plaisir : c’était l’ordre du ciel.
Il se tourne vers le duc d’Anjou.
— Vous êtes Philippe V d’Espagne, dit-il. Soyez bon Espagnol, c’est présentement votre premier devoir, mais souvenez-vous que vous êtes né français.
Il voit l’ambassadeur espagnol Castel Dos Rios qui s’agenouille en pleurant aux pieds de cet enfant, le duc d’Anjou – « mon petit-fils » –, Philippe V d’Espagne.
— Quelle joie, s’écrie Castel Dos Rios, il n’y a plus de Pyrénées ! Elles sont abîmées et nous ne sommes plus qu’un.
Louis entend les compliments des courtisans qui félicitent celui qu’ils appellent déjà Sa Majesté le roi d’Espagne.
Sait-il, cet enfant, ce que c’est que d’être roi ?
23.
Louis est assis dans son cabinet, les avant-bras posés sur les accoudoirs du fauteuil.
Il regarde droit devant lui, vers l’horizon où s’effilochent des nuages bas. Il semble ne pas voir le secrétaire assis en face de lui, et qui attend qu’il commence à dicter.
Il hésite encore.
Il a fait cela autrefois, il y a si longtemps, pour son fils, aujourd’hui père de ce duc d’Anjou qui est maintenant Philippe V d’Espagne.
Mais le dauphin n’écrira pas pour son fils des Réflexions sur le métier de roi , qu’il n’a pas exercé encore, et d’ailleurs quel roi sera-t-il, lui qui semble n’aimer que chasser le loup et qui paraît noyé dans la graisse et l’apathie ?
Alors, c’est à lui de parler à son petit-fils.
Il commence à dicter :
Instructions au duc d’Anjou
Il entend la plume crisser. Il ferme les yeux. Il a l’impression qu’il lit.
« 1 – Ne manquez à aucun de vos devoirs, surtout envers Dieu.
« 2 – Conservez-vous dans la pureté de votre éducation.
« 3 – Faites honorer Dieu partout où vous aurez du pouvoir ; procurez sa gloire ; donnez-en l’exemple ; c’est un des plus grands
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