Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
qu’est la forêt de Fontainebleau.
Dieu a voulu que ce soit ici, loin de Versailles, que la dépêche soit remise.
Et soit ouverte.
Il brise les sceaux. Il s’est tant contraint qu’il ne ressent d’abord, à lire la dépêche, aucune émotion.
Et pourtant, elle annonce la mort de Charles II qui, dans son testament, établi le 2 octobre 1700, a choisi pour héritier le duc d’Anjou, le second petit-fils du roi de France, à la condition qu’il s’engage à conserver la totalité de l’héritage et à renoncer à ses droits sur la couronne de France.
Si le duc d’Anjou, puis son frère le duc de Berry refusaient cet héritage, Charles II léguerait son empire à l’archiduc Charles de Habsbourg.
Louis lève les yeux.
Il dit seulement que le roi d’Espagne, son cousin et beau-frère, est mort le 1 er novembre. Il décrète donc un deuil de cour. La chasse royale prévue est annulée. Les ministres sont convoqués à trois heures, dans les appartements de Mme de Maintenon.
Il ne bouge pas. D’un signe il commande aux valets de faire servir le dîner.
Il croise de nouveau les bras, comme pour contenir l’émotion qui enfin le submerge.
Ce jour du 9 novembre commence une autre histoire de son règne et du monde.
22.
Il est trois heures, ce 9 novembre 1700.
D’un signe, Louis invite son fils, Monseigneur le dauphin, puis le chancelier le comte de Pontchartrain, le duc de Beauvillier, le marquis Colbert de Torcy et Chamillart contrôleur général des Finances, à s’asseoir autour de lui.
Il se tourne vers Mme de Maintenon. Elle baisse aussitôt les yeux, se tasse, comme si elle voulait disparaître, se cacher afin qu’on l’oublie.
Mais il veut que tous, et même Françoise de Maintenon, s’expriment. Il le dit, puis il lit la dépêche. Il répète :
— Mon cousin et beau-frère est mort, et il a choisi pour héritier de son empire mon second petit-fils, le duc d’Anjou.
Il dévisage ceux qui l’entourent.
Le dauphin a les joues empourprées comme un cavalier qui toute la matinée a chassé le loup dans la forêt de Fontainebleau. Les autres tentent de dissimuler leur anxiété. Le chancelier est le plus pâle.
— Messieurs, j’attends votre choix, dit Louis. Le roi de France doit-il accepter le testament du roi d’Espagne ?
Il est étonné par la vigueur avec laquelle son fils parle, s’exprimant le premier, disant qu’il n’abandonnera jamais un seul pouce d’un héritage qui est celui de sa mère et qui revient à son fils Anjou, et qu’il faut donc accepter ce testament qui reconnaît la légitimité des droits de la reine Marie-Thérèse.
Il regarde Mme de Maintenon, qui hésite, puis, comme il ne la quitte pas des yeux, murmure que Monseigneur a raison, qu’il faut accepter ce testament.
Il interroge le duc de Beauvillier. Il le sait proche de Mme de Maintenon. C’est un de ceux qui soutenaient Fénelon, qui l’a même recommandé pour qu’il devienne le précepteur du duc de Bourgogne.
Beauvillier, d’un ton ferme, dit qu’il faut respecter le traité de partage, que l’acceptation du testament provoquera une guerre qui causera la ruine du royaume.
Louis le remercie d’une inclinaison de tête, pour la franchise avec laquelle il a exprimé ses convictions.
Un roi a besoin d’hommes qui savent le contredire.
Il écoute maintenant Chamillart et Torcy, l’un et l’autre favorables à l’acceptation du testament.
Torcy parle de commerce avec les Indes et les Amériques, qui sera désormais ouvert aux navires et aux marchands français, et le futur roi d’Espagne pourrait accorder à une compagnie française l’ asiento , ce monopole de la traite négrière, le plus fructueux des commerces.
De toute façon, continue Colbert de Torcy, un roi de France peut-il accepter qu’un Habsbourg règne à Madrid ? Et ce serait le cas si l’on refusait le testament de Charles II. La guerre est donc, quel que soit le choix, inéluctable. Autant la faire avec l’Espagne pour alliée. Elle a des places fortes et des troupes.
Louis interrompt le marquis de Torcy afin que Pontchartrain s’exprime.
Il ne peut s’empêcher d’éprouver du mépris pour le chancelier qui dit que le roi seul, plus éclairé que ses ministres, peut connaître et décider suivant ses lumières ce qui convient le mieux à sa gloire, à sa famille royale, au bien de son royaume et de ses sujets.
Louis laisse le silence s’établir, puis il
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