Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
biens que les rois puissent faire.
« 4 – Déclarez-vous en toute occasion pour la vertu et contre le vice. »
Il s’interrompt.
Il a connu les liaisons sacrilèges, ce double adultère avec Athénaïs de Montespan, tant de femmes, Mlle de La Vallière et Mlle de Fontanges.
Il ne pourrait pas, le voudrait-il, se remémorer toutes les coiffes qu’il a saluées d’un coup de chapeau et les jupes qu’il a soulevées.
Il reprend.
« 5 – N’ayez jamais d’attachement pour personne.
« 6 – Aimez votre femme, vivez bien avec elle, demandez-en une à Dieu qui vous convienne. Je ne crois pas que vous deviez prendre une Autrichienne.
« 7 – Aimez les Espagnols et tous vos sujets attachés à vos couronnes et à votre personne ; ne préférez pas ceux qui vous flatteront le plus estimez ceux qui pour le bien hasarderont de vous déplaire : ce sont là vos véritables amis. »
Il a l’impression qu’en dictant sa vie défile, qu’il la voit comme dans un miroir, et qu’il peut, tel un spectateur, juger ce qu’il a fait, et exprimer ce qu’il aurait fallu, ce qu’il aurait dû être, et qu’il voudrait que le duc d’Anjou, Philippe V d’Espagne, soit.
« 8 – Faites le bonheur de vos sujets ; et, dans cette vue, n’ayez de guerre que lorsque vous y serez forcé et que vous en aurez bien considéré et bien pesé les raisons dans votre Conseil. »
Il s’arrête.
L’acceptation du testament, c’est la guerre assurée contre l’Empire.
Léopold I er ne pourra pas accepter que l’Espagne échappe aux Habsbourg pour entrer dans la maison des Bourbons.
Mais les autres, l’Angleterre de Guillaume III, les Provinces-Unies que gouverne un certain Heinsius, un hérétique, s’allieront-elles à l’empereur, considérant que le roi de France les a trompées en signant avec elles des accords pour le partage de la succession d’Espagne et peut-être, en même temps, agissant à Madrid pour que Charles II lègue son empire au duc d’Anjou ?
Supporteront-elles que les marchands français soient favorisés par un roi d’Espagne qui n’oubliera pas qu’il est français ?
Les Anglais voulaient le monopole de la traite négrière. Mais la France le veut. Et Louis sait qu’il est actionnaire de la compagnie qui cherche à s’emparer de tout le commerce du « bois d’ébène ». L’Angleterre et les Provinces-Unies ont toujours défendu leur commerce avec leurs ongles et leurs crocs.
S’ils veulent la guerre, il faudra la faire et l’Espagne sera l’alliée du royaume de France.
Il reprend.
« 9 – Essayez de remettre vos finances ; veillez aux Indes et à vos flottes. Pensez au commerce ; vivez dans une grande union avec la France, rien n’étant si bon pour nos deux puissances que cette union à laquelle rien ne pourra résister.
« 10 – Si vous êtes contraint de faire la guerre, mettez-vous à la tête de vos armées.
« 11 – Songez à rétablir vos troupes partout, et commencez par celles de Flandre. »
Il voudrait tout dire, mais comment presser le suc de toute une vie, afin de le transmettre !
Alors il dit aussi bien « c’est à vous de décider » que « traitez bien vos domestiques mais ne leur donnez pas trop de familiarité et encore moins de créance », ou « ayez une cassette pour mettre ce que vous aurez de particulier dont vous aurez seul la clé », et « jetez quelque argent au peuple quand vous serez en Espagne et surtout en entrant dans Madrid ».
Il sent que sa gorge se serre quand il dicte :
« 27 – Aimez toujours vos parents ; souvenez-vous de la peine qu’ils ont à vous quitter ; conservez un grand commerce avec eux dans les grandes choses et dans les petites.
« 28 – N’oubliez jamais que vous êtes français. »
L’émotion le force à s’interrompre.
Il lui semble qu’il n’a pas dit l’essentiel.
Ce sera le trente-troisième point.
Il le dicte en parlant plus lentement encore :
« 33 – Je finis par un des plus importants avis que je puisse vous donner ; ne vous laissez pas gouverner ; soyez le maître ; n’ayez jamais de favoris ni de Premier ministre ; écoutez, consultez votre Conseil, mais décidez. Dieu, qui vous a fait roi, vous donnera les lumières qui vous sont nécessaires tant que vous aurez de bonnes intentions. »
Il se tait, renvoie le secrétaire d’un mouvement de tête.
Il est las.
Il a l’impression qu’il
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