Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
vient d’offrir à son petit-fils toute sa vie, et qu’il ne lui reste plus que la tristesse de l’avoir déjà vécue.
24.
Il veut retenir ses larmes.
Il regarde le duc d’Anjou, Philippe V roi d’Espagne, qui est entouré de ses frères et de jeunes gentilshommes. Ils attendent dans les salons du château de Sceaux.
Il voit près d’eux le duc du Maine, qui vient d’acheter le château au fils de Colbert et qui pérore, claudiquant.
Louis détourne la tête.
Il a voulu que toute la famille royale accompagne le duc d’Anjou jusqu’à Sceaux. Au-delà, ses frères, les ducs de Bourgogne et de Berry, chevaucheront avec lui jusqu’à la frontière espagnole avec une escorte, et déjà une cour.
Mais c’est ici, dans ce château de Sceaux, ce 4 décembre 1700, que Louis doit se séparer de son petit-fils.
Et les larmes inondent ses yeux.
Il demande au duc d’Anjou de le rejoindre dans ce salon dont les valets referment les portes derrière eux.
Il voulait être seul avec lui pour ces adieux, et il ne peut parler.
Il lui remet ses Instructions , qu’il a dictées et dont il ne peut que lui dire qu’elles sont le fruit de toute sa vie de roi.
Il laisse le duc d’Anjou lui prendre les mains, les embrasser. Alors il le serre contre lui et tous deux pleurent.
Puis il ouvre les portes afin que la famille royale puisse entrer.
Il est surpris par la tristesse de Monseigneur le dauphin.
Il n’imaginait pas que son fils fût à ce point sensible et attaché au duc d’Anjou, qu’il embrasse en pleurant, et tous deux ne paraissent pas pouvoir se séparer.
Il ne voit, autour d’eux, que des visages couverts de larmes.
Mme la Palatine et Marie-Adélaïde de Bourgogne paraissent les plus touchées.
Et le duc d’Anjou sanglote.
Louis craint d’être lui aussi emporté par la tristesse alors qu’il a réussi à étancher ses larmes.
Il lance d’une voix forte :
— Qu’on aille voir si tout est prêt.
Il attend, la gorge nouée.
— Sire, tout est prêt, répond une voix.
Et près de lui il entend le duc d’Anjou, roi d’Espagne, qui murmure :
— Tant pis.
Il lui prend le bras, le conduit jusqu’au perron du château, et tout à coup il ne peut s’empêcher de pleurer.
Il cache son visage sous ses mains.
Le règne de Philippe V, roi d’Espagne, son petit-fils, commence.
Dieu l’a voulu ainsi.
Il monte dans son carrosse, seul.
Combien de temps Dieu le laissera-t-Il être encore Louis le Grand ?
25.
Il s’approche du tableau qu’il a fait placer dans le grand cabinet, là où il reçoit le Conseil, dans cette pièce qui se trouve à côté de sa chambre, au centre du château de Versailles.
Il est ému comme chaque fois qu’il regarde le portrait de son petit-fils. Il a félicité le peintre Hyacinthe Rigaud qui a saisi la jeunesse et la gravité du duc d’Anjou.
Il est fier et inquiet du duc qui lui a écrit pour lui raconter son entrée à Madrid.
« Mon peuple espagnol m’a acclamé, la Cour m’a réservé le meilleur accueil et tous les gentilshommes vous ont loué pour avoir accompli les volontés du roi défunt. »
Cette dépêche n’a pas dissipé son inquiétude.
La guerre est là qui vient.
Il ne la déclenchera pas, mais il agira au mieux des intérêts et de la grandeur du royaume dont il a la charge.
Il s’attarde longuement devant le tableau.
Il n’est plus seulement comptable devant Dieu du royaume de France mais aussi du royaume d’Espagne, puisque Dieu a voulu que ce soit son petit-fils, un roi d’à peine dix-sept ans, qui en soit le souverain.
Et Dieu savait que le duc d’Anjou ne pouvait régner qu’avec l’aide du roi de France.
Il doit donc veiller sur ce petit-fils, et les Instructions qu’il lui a remises ne suffiront pas à le protéger des ennemis qui se concertent.
Les Impériaux, Guillaume III, Heinsius à La Haye, préparent une grande alliance.
Et déjà, en Italie, les troupes impériales ont attaqué les régiments de Catinat.
Louis a donné l’ordre de ne pas livrer bataille, pas encore. Que Guillaume III ose déclarer la guerre !
Mais il est sûr qu’elle éclatera, et il ne doit céder sur rien.
Il a présenté au Parlement des lettres patentes, qui ont été approuvées et qui proclament que Philippe V conserve ses droits sur la couronne de France.
Il a répondu au duc de Beauvillier, qui regrettait qu’on ne respectât pas le testament de Charles II, qu’un roi de
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