Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
France était maître de choisir ses successeurs, et qu’il ne pouvait sans lâcheté et reniement priver son petit-fils de l’héritage que Dieu et le sang lui avaient attribué.
— C’est la guerre, a dit Beauvillier.
Comme si Guillaume III, Heinsius, Léopold I er , et peut-être ce grand électeur du Brandebourg qui vient de se proclamer Frédéric I er , roi de Prusse, avaient besoin de ce prétexte !
Il suffit aux Anglais et aux Hollandais de savoir que l’ asiento , la traite négrière, a été attribué à la compagnie de Guinée, qui devra fournir quatre mille huit cents esclaves par an, pour qu’ils se liguent contre le royaume de France. Ils voulaient ce commerce-là et tous les autres.
Leur objectif est de briser les compagnies du royaume ! Et que le roi de France et celui d’Espagne soient parmi les bailleurs de fonds de la compagnie de Guinée leur est une raison de plus de s’opposer à la France et à l’Espagne.
— La guerre ruinera le royaume, a répété le duc de Beauvillier.
Louis a tenté de le rassurer.
Il vient de désigner, a-t-il dit, Michel Chamillart, contrôleur général des Finances, comme secrétaire d’État à la Guerre, et Chamillart sera à même ainsi de trouver les sommes nécessaires au paiement des soldes, à l’achat des armes, des munitions et des approvisionnements.
Chamillart projette de créer une monnaie en billets, qui pourrait suppléer le manque de pièces d’or ou d’argent. Louis a exigé qu’on donne à l’armée et à la flotte tout ce dont elles ont besoin. Et d’abord des hommes.
Il va promulguer une ordonnance pour que, dans tout le royaume, on lève une milice qui constituera une armée régulière venant appuyer les régiments réglés.
Il décide de faire occuper par les troupes les forteresses espagnoles de Flandre, et des renforts partent pour le Milanais. Il a désigné le maréchal de Boufflers pour commander toutes ses troupes, et il sera assisté par le duc du Maine, le comte de Toulouse – mes fils – et par le maréchal de Villeroi. Vauban, qui vient de publier un Traité de défense des places , sera à la tête du corps des ingénieurs.
— Qu’on déclare donc la guerre au roi de France et au roi d’Espagne, si on l’ose, a-t-il lancé.
Il quitte le grand cabinet à pas lents, car la goutte le tenaille toujours.
Il entre dans la chambre.
Il ne se lasse pas de cette pièce, où l’immense lit fait face à la ville de Versailles, et qui est le cœur du château.
C’est ici que chaque jour, au grand et au petit lever, et aux couchers, les courtisans viennent l’honorer selon une étiquette qu’il a fixée et à laquelle personne, même les princes du sang, même Monsieur son frère, ne peut se soustraire.
Il s’approche de la fenêtre.
Il regarde le char d’Apollon enveloppé de ses jets d’eau. Ce soir, le soleil dans sa course viendra éclairer ce Roi-Dieu, et le matin l’astre solaire illuminera la chambre.
Il est le Roi-Soleil et Louis le Grand.
Il contemple les jardins, les labyrinthes, les fontaines et les bassins.
Il a voulu tout cela. Il l’a fait surgir du néant.
Il n’y avait là que marais infestés et le modeste pavillon de chasse de son père.
Il voit désormais la ville neuve et, de l’autre côté du château, placé sur une éminence, le parc.
Il éprouve chaque fois qu’il redécouvre cet ordonnancement et ce monde qu’il a créé une joie plus forte que toutes celles que lui ont données les femmes et les victoires.
Il a été à la genèse d’un monde dont il occupe, dans cette chambre et ce grand cabinet, le centre.
Il jouit du plaisir superbe d’avoir forcé la nature.
L’huissier fait entrer Rigaud qui, après s’être incliné, dispose ses chevalets, suggère la pose.
Car Louis veut être peint. Philippe V lui a écrit pour lui demander un portrait de lui, qu’il placerait à l’Escorial.
Il a choisi Hyacinthe Rigaud qui a si bien réussi à représenter son petit-fils.
Mais il veut un portrait en pied, en costume de sacre.
Il s’appuiera sur le sceptre dont il se servira comme d’une canne, ce qui lui permettra de soutenir ce corps dont les os le font toujours souffrir.
Il veut avoir près de lui la couronne et la main de justice. Il portera le glaive et le riche et somptueux manteau du sacre.
Il se regarde dans le miroir pendant que Rigaud peint.
Il met son poing gauche sur sa hanche. Il écarte un peu le manteau, afin qu’on voie ses
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