Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
France, sans paraître être l’expression de sa politique.
Il approuve cette « guerre couverte », mais il sait que la victoire naîtra seulement de la résistance et des succès des armées françaises et espagnoles.
Chaque jour, il reçoit dans ce grand cabinet, en même temps que Michel Chamillart, le marquis de Chamlay qui présente l’état des forces, la situation des fronts.
Louis écoute avec attention, note, comptes ses hommes, les mousquets, les canons.
Depuis qu’il est en fait le souverain de deux royaumes, et que la guerre est déclarée, il passe ses journées dans ce grand cabinet, distrait seulement par la course du soleil qui éclaire la pièce.
Et ce passage de la pénombre à la lumière, du gris argenté de l’hiver à l’éclat doré de l’été, puis à la rouille de l’automne, est comme accordé à la succession des batailles.
Français vaincus, puis vainqueurs, Anglais qui tentent de débarquer à Cadix et qui sont repoussés, et ces milliers de morts, et parmi eux le duc de Créqui, qui pourrissent des Flandres au Milanais.
Il reçoit Villars qui vient de remporter à Friedlingen, sur les troupes impériales du margrave de Bade, une victoire éclatante, les contraignant, avec des forces moins nombreuses, à reculer. Et les soldats ont acclamé Villars, aux cris de « Vive le Maréchal ! ».
— C’est d’ordinaire vers les dix heures du soir que Chamillart vient travailler avec moi, dit Louis.
Il lui semble qu’il réussit à chasser de son corps le froid, déjà si pénétrant dans cet automne 1702.
— Pendant plus de trois mois, reprend-il, il ne m’a appris que des choses désagréables. L’heure à laquelle il arrivait était marquée par des mouvements de mon sang. Vous m’avez tiré de cet état.
Il se tait, regarde le feu puis Villars.
— Comptez sur ma reconnaissance, conclut-il.
Villars sera maréchal de France, comme le criaient ses soldats.
Mais le froid revient.
L’ambassadeur d’Harcourt et la princesse des Ursins écrivent tous deux de Madrid qu’une flotte de galions, chargée d’or, arrivant d’Amérique était entrée dans la baie de Vigo.
Elle a été attaquée par une flotte anglaise, qui a fermé la baie, puis s’est emparée des forts protégeant le port où venaient de s’amarrer les galions.
On a débarqué une partie du trésor, mais il a fallu, pour éviter que les Anglais ne s’emparent du reste, incendier et voir couler les quinze galions et leur chargement.
Louis sait que l’or est le sang de la guerre.
Et quand il voit rentrer Chamillart dans le grand cabinet, il devine, à l’expression du contrôleur général des Finances, que cette mauvaise nouvelle venue d’Espagne ne sera pas la seule.
Dans les Cévennes, près d’Alès, dit Chamillart, les camisards de Jean Cavalier ont tendu une embuscade aux troupes de la garnison, qu’ils ont mises en déroute alors qu’ils étaient dix fois moins nombreux.
Louis se tait, puis se lève avec difficulté. La goutte veut le retenir prisonnier, comme un maréchal défait et capturé.
Il se redresse. Il va aller chasser, en calèche, malgré les douleurs et le froid. Il doit continuer à vivre en roi.
Il dit à Chamillart qu’il vient de décider que son petit-fils, le duc de Bourgogne, siégerait au Conseil des finances et au Conseil d’État, afin qu’il y écoute et s’y forme quelque temps sans opiner, mais après qu’il serait bien aise qu’il entrât en tout.
Pour combattre le froid et la mort, vaincre, donc, il fait confiance à la chaleur de la vie qui bat dans le sang de ses descendants.
27.
Il regarde Mme de Maintenon à la dérobée.
Elle porte une robe bleue qui serre son buste, en fait ressortir les formes. Un flot de dentelles noires cache le bas de son visage et son cou.
Le temps ne semble pas avoir de prise sur ses joues roses, lisses.
Est-il possible qu’elle ait deux ans de plus que lui, soixante-sept ans, donc ?
Elle baisse la tête.
En ce début d’année 1703, il pense presque chaque jour qu’il atteindra, dans quelques mois, sa soixante-cinquième année.
Elle pèse sur lui.
On l’a encore saigné ce matin. Les tailleurs ont succédé aux médecins, pour mesurer son tour de taille, afin de lui couper de nouveaux vêtements adaptés à sa corpulence.
Mme de Maintenon, elle, ne change pas. Elle ne se plaint d’aucune maladie. On ne la purge pas, on ne la saigne pas, alors qu’il vient
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