Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
la Cour et les articles des gazettes étrangères qui se moquent de ce pauvre Villeroi, maréchal de France prisonnier.
Il y a quelques jours, il a convoqué le maréchal de Catinat, battu lui aussi par les Impériaux dans le Milanais. Et Chamillart présent a dû reconnaître qu’il avait bien reçu les missives de Catinat, rendant compte des premières opérations de guerre contre les Impériaux, et les dépêches du maréchal de Boufflers faisant état des attaques des troupes des Provinces-Unies, en Flandre. Partout, la coalition, alors que la guerre n’est pas encore officiellement déclarée, est passée à l’offensive.
Chamillart a finalement avoué qu’il avait donné ces lettres des maréchaux à Mme de Maintenon.
Elle avait sans doute voulu éviter à Sa Majesté les désagréments de ces événements, qui seront effacés par les victoires éclatantes qui se préparent.
Il ne peut en vouloir à Françoise de Maintenon. Elle veut le protéger, et elle agit pour le bien.
Mais il doit tout savoir.
Il veut, en personne, traiter du règlement des armées. Et il veut, seul à seul avec Chamillart, puis le marquis de Chamlay, examiner les plans de bataille, décider des offensives, être ici, à Versailles, au cœur du royaume, le maître des opérations de guerre.
Il a la charge non seulement du sort du royaume de France mais aussi de celui d’Espagne.
Le duc d’Anjou, ce souverain de moins de vingt ans qui ne parle pas espagnol, et sa jeune épouse, Marie-Louise Gabrielle de Savoie, ont besoin de lui. Il n’est pas que le grand-père du duc d’Anjou, il doit être le tuteur de Philippe V.
Il veut que l’ambassadeur d’Harcourt agisse en vice-roi, et c’est avec lui qu’il communique. Et il n’ignore pas que Mme de Maintenon a choisi la camarera mayor qui va régenter la vie de la reine et du roi d’Espagne.
Il a vu cette princesse des Ursins, Marie-Anne de La Trémoille, et il a été frappé par le regard brillant, l’allure altière, la poitrine provocante de cette femme fière, qui doit surveiller, conseiller le couple royal d’Espagne et renseigner Mme de Maintenon de tout ce qui survient en tout domaine à la cour d’Espagne.
Louis tend les mains vers les flammes, mais il lui semble qu’il ne réussira plus à réchauffer son corps.
Il ne grelotte pas, mais ses os sont de la glace dont il a l’impression qu’elle peut se briser, laissant son corps rempli de douleurs.
Et elles sont là. Il doit les contenir. Il doit vivre, gagner cette guerre qu’il mène, comme s’il était le roi de deux royaumes, les plus grands du monde.
Et c’est pour cette puissance, cette gloire, qu’on le hait, à Londres, à La Haye, à Vienne et même à Berlin.
La mort de Guillaume III n’a rien changé à cela. Au contraire, Louis a refusé que l’on porte le deuil de cet hérétique, de ce roi de Parlement, et toute l’Europe s’est indignée.
Et même à la Cour, certains gentilshommes ont murmuré qu’il fallait honorer la mémoire d’un souverain, que c’était là l’usage.
Mais ce Guillaume d’Orange n’était pas un roi légitime, seulement un roi de fait. Et la reine Anne Stuart qui lui a succédé, qui est pourtant la fille de Jacques II, a aussitôt déclaré : « On ne saurait trop encourager nos alliés à réduire la puissance exorbitante de la France. »
Il ne se passe pas de jour qu’on ne publie un pamphlet à Amsterdam, à La Haye ou à Londres, contre le « f rench tyran », despote ennemi des droits, et donc de la liberté des peuples.
Il sent cette haine autour de lui. Elle se cache sous les apparences de la dévotion qu’on lui porte.
Il le dit à Chamillart :
— Les gens qui insultent au malheur du maréchal de Villeroi, parce qu’il est prisonnier des Impériaux, s’en prennent à lui parce qu’on connaît l’amitié que j’ai pour lui. Villeroi souffre de la haine qu’on me porte.
Il est inquiet de la voir se répandre dans le royaume.
Il lit les rapports des intendants. Il a exigé de Chamillart qu’on les lui remette dès qu’ils parviennent à Versailles.
Il est seul dans le grand cabinet.
Il doit savoir.
Dans les campagnes, les jeunes paysans tentent par tous les moyens d’éviter l’enrôlement dans la milice.
Ils s’enfuient dans les forêts, se mutilent, se marient pour échapper à ceux qu’ils appellent les « vautours », les « vendeurs de chair humaine », qui les traquent comme du gibier,
Weitere Kostenlose Bücher