L'ultime prophétie

les loups.
     
    Dans l'enceinte de la prison, les murmures et les disputes
se poursuivirent tout au long de la journée. Certains refusaient de croire ce
qu'ils avaient vu. Mais la plupart étaient désormais convaincus et finirent par
faire taire les réticences.
    Les plus enthousiastes étaient ceux qui avaient vu Tess sur
le champ de bataille, ou qui avaient bénéficié de ses pouvoirs de guérison et
de ceux de ses sœurs.
    Une telle magie avait disparu depuis longtemps de ce monde,
considérée par tous comme faisant partie de légendes stupides. Aujourd'hui,
ceux qui l'avaient observée de leurs propres yeux ne pouvaient nier
l'authenticité de ces histoires.
    Tuzza préféra rester à l'écart sous sa tente, alors que les
discussions faisaient rage dehors. Ses hommes avaient choisi de prêter
allégeance à la souveraine et il ne doutait pas qu'ils respecteraient leur
serment. L'honneur était une valeur suprême de l'armée bozan- dari ; ces hommes
ne reviendraient pas sur leur parole.
    Néanmoins ils pouvaient débattre de ce qu'ils avaient vu et
du sens à accorder aux événements.
    En fin de journée, comme le soleil se couchait et que le
campement commençait à se préparer à une nouvelle nuit froide, Archer
Blackcloak, l'homme qui n'était autre qu'Annuvil, vint parler à Tuzza.
    La première chose que ce dernier remarqua fut que Maître
Archer, comme celui-ci préférait être appelé, paraissait plus grand que la
dernière fois qu'ils s'étaient vus. Comme si le fait d'assumer le fardeau de sa
destinée et sa véritable identité avait fait grandir Archer au propre comme au
figuré. Son visage était toujours aussi profondément marqué par l'inquiétude et
le chagrin, mais ces rides ne faisaient qu'accentuer l'impression de force
qu'il dégageait.
    Tuzza lui offrit du vin et les deux hommes s'installèrent
devant une table de camp de bois, une carte de Bozandar sous les yeux.
    —   Ainsi, dit Archer, Dame Tess est venue vous voir ce
matin ?
    —   Oui-da. En compagnie de huit loups des neiges.
    Archer esquissa un sourire.
    —   Cet événement n'a pas dû passer inaperçu.
    —   J'ignore ce qui a le plus étonné : les loups ou le fait
que Dame Tess ait arrêté la neige et écarté les nuages.
    Tuzza, qui se considérait comme un homme difficilement impressionnable,
paraissait toutefois admiratif en évoquant l'exploit de Dame Tess.
    Archer hocha la tête et sirota son vin.
     —  Elle est très surprenante, en effet. Mais elle ignore
encore tout ce dont elle est capable.
    —   Un pouvoir incontrôlé ?
    —   Parfois. Pour une raison mystérieuse, les dieux l'ont
privée de toute mémoire lorsqu'ils l'ont ramenée à moi et à mes amis. Quels
qu'aient été ses pouvoirs autrefois, elle a tout oublié. Elle ne sait que ce
qu'elle apprend au jour le jour.
    —   Alors, elle a déjà appris beaucoup.
    Archer opina.
    —   Certes, si l'on considère le peu de temps qu'elle a eu.
    —   J'ai entendu les gardes anari l'appeler la Dame Filandière. Font-ils référence à la prophétie ?
    Le regard d'Archer s'éclaira.
    —   Qu'en penses-tu, Tuzza ? A-t-elle éloigné une tempête de
neige d'un seul geste ?
    Tuzza soupira.
    —   Je l'ai vu de mes propres yeux. La Dame Filandière... Jamais je n'aurais cru assister à pareille chose.
    —   Peu y croyaient. Je ne crains pas de dire que vivre les
temps prédits par la prophétie n'apportera que peu de joie à la plupart d'entre
nous.
    —   Non. Des jours difficiles se préparent.
    —   Les plus durs que nous ayons jamais connus. Nous serons
soumis à de terribles épreuves. Terribles... Archer croisa le regard de Tuzza
et le soutint un instant. Tout ce que nous avons, mon frère, c'est notre
confiance l'un en l'autre. Je ne puis vous dire à quel point elle sera
essentielle.
    —   Vous m'appelez votre frère ?
    —   Oui-da, car tu es sur le point de partager mon fardeau.
Et ce sera loin d'être une voie facile.
    —   J'en suis honoré, mon seigneur.
    —   Tu me parleras d'honneur lorsque nous aurons traversé ce
tunnel et que nous nous trouverons de l'autre côté.
    Archer soupira à son tour.
    —   Je savais depuis des siècles que cette heure approchait
; or, je ne suis pas plus prêt à l'affronter que je ne l'étais par le passé. Et
je suis chagriné de voir que d'autres doivent la connaître ; si j'avais choisi
d'agir différemment jadis, cette heure ne serait jamais venue.
    —   Et je ne