L'ultime prophétie
leur
situation actuelle. Ils s'agenouillèrent à leur tour.
— Levez-vous, commandant Tuzza, dit la femme d'une voix
calme mais ferme.
Elle posa une main sur la tête du loup debout à ses côtés.
— Levez-vous et faites place à votre souveraine et à sa cour.
— Ecartez-vous ! ordonna Tuzza.
Certains, que leur bonne fortune avait placés en
arrière-garde durant les batailles et qui n'avaient pas eu recours aux pouvoirs
de guérisseuse de Dame Tess, grommelèrent. Mais ils n'étaient guère nombreux et
les regards de leurs camarades les firent taire.
— Mettez-vous en rang !
Même les plus réticents retrouvèrent à ces ordres les
habitudes nées d'années d'entraînement et de pratique. Ils se tinrent bientôt
en rangs si droits et serrés qu'ils auraient pu être dessinés par un géomètre.
Tuzza se tourna vers Dame Tess.
— Mes hommes sont prêts, ma dame. Nous sommes à votre service.
— Très bien, dit Tess en se dirigeant vers eux à grands
pas, donnant l'impression de glisser sur le sol.
Les loups étaient sur ses talons. Quand elle s'arrêta devant
le premier rang de la formation, ils prirent de nouveau place autour d'elle.
Lorsqu'elle parla, sa voix était claire et forte et retentissait au plus
profond de l'âme, songea Tuzza.
— Je suis celle qu'évoquent les prophéties.
Bien qu'elle détestât ces paroles et leur portée, elle
savait qu'elle disait vrai. Elle ne pouvait plus échapper à son destin.
— Vous pouvez choisir de croire ou de ne pas croire. Mais
ne pas croire vous conduira à votre perte car vous décideriez d'ignorer ce que vous
voyez à présent de vos propres yeux. Le commandant Tuzza a choisi de me servir.
Quelle est votre décision ?
Le silence se prolongea un long moment. Tuzza avança et se
rangea aux côtés de Dame Tess. Peut-être pourrait-il maintenant apaiser la
révolte qui grondait parmi ses hommes et faire de nouveau d'eux une véritable
armée ? Il parla calmement, élevant la voix afin de se faire entendre de tous.
— L'époque dont nous avons entendu parler durant notre enfance,
l'époque dont nous pensions qu'elle n'existait que dans des contes destinés à
nous divertir, est arrivée. Si nous pourrions avoir à combattre nos frères,
notre but n'est pas la chute de Bozandar mais son salut. Ralliez-vous à moi,
compagnons d'armes, pour le bien de vos familles, pour l'avenir de vos enfants
encore à naître. Si nous ne nous dressons pas aujourd'hui contre l'Ennemi, nous
subirons le sort des Premiers Nés et disparaîtrons tous à jamais.
Il vit ses hommes hésiter. Cependant, à l'extérieur de la
prison, les gardes anaris s'étaient mis à genoux, témoignant de leur allégeance
envers Dame Tess. Les loups se mirent à pousser des cris si lugubres qu'ils
eussent donné la chair de poule à n'importe qui, même au plus brave des hommes.
Dame Tess les fit taire d'un seul geste de la main,
dissipant par là même les doutes de nombre de soldats.
— Courageux soldats de Bozandar, dit-elle, décidez-vous
maintenant. Votre avenir tout entier dépend de cet instant.
Une vague d'émoi traversa les rangs des prisonniers et
lorsque le calme revint, tous étaient à genoux.
Dame Tess ouvrit les bras et leva le visage vers le ciel.
S'ils avaient pu la voir, les hommes auraient constaté que ce visage brillait
d'une lueur bleu pâle — une aura qui enveloppait aussi les loups à ses pieds.
La neige se mit soudain à tomber ; la lumière rougeoyante du jour naissant la
faisait ressembler à du sang. Des nuages gris tournoyaient au-dessus de leurs
têtes, teintés de rouge.
— Il provoque cette neige, dit-elle. Il cherche à vous
détruire en vous faisant mourir de froid et de faim. Il tuerait sans hésiter
vos frères et laisserait vos sœurs sans enfants. Il frapperait au cœur de votre
existence en pervertissant le temps. Je ne le laisserai pas faire.
Elle leva une main, parut saisir quelque chose dans l'air et
le tordre. Un vent se leva brusquement, si fort qu'il fit plier plusieurs
hommes. Il repoussa également les nuages, tant et si bien que le ciel fut
bientôt clair et dégagé.
Elle baissa le bras et regarda les hommes à genoux devant
elle.
— Relevez-vous. Vous avez fait un choix sage en ce jour. Je
veillerai aussi vite que possible à ce que vous soyez mieux logés. Puisse
Elanor vous bénir, vous et les vôtres.
Puis elle tourna les talons et sortit du campement, toujours
escortée par
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