L'ultime prophétie

serais pas né. Je n'aurais pas vu mes enfants
atteindre l'âge adulte.
    Archer sourit faiblement.
    —   Tu es très positif.
    —   Il faut l'être pour commander une armée.
    —   Tu dis vrai.
    Ils se turent quelques minutes, dégustant leur vin dans un
silence empreint d'une camaraderie grandissante.
    Le premier à rompre ce silence fut Archer.
    —   Fais-tu confiance à tes hommes ?
    —   Sans nul doute. Nous accordons une grande valeur à l'honneur.
    Archer acquiesça puis se pencha plus près.
    —   Surveille-les tout de même, mon frère. L'Ennemi est
capable de contrôler les esprits des hommes. Avez- vous entendu parler des
grands ordonnateurs ?
    —   Oui-da, mais je n'en ai jamais rencontré.
    —   Tu en verras, avant la fin de tout ceci. Il exerce son
influence sur les hommes puis plie leur volonté à la sienne. Il peut même occuper
leur corps, s'il le souhaite. Comme s'ils ne faisaient qu'un seul esprit. Il
est étrange de les voir agir de concert. C'est ainsi qu'il contrôle ses armées.
    L'effroi se lut sur les traits de Tuzza. Il but une longue
gorgée de vin.
    —   C'est inquiétant.
    —   En effet. Une fois qu'il les contrôle, ils perdent toute
crainte de la mort. Il est impardonnable d'agir ainsi mais c'est bien ce qu'il
fait et tu dois t'y préparer. Tu dois même t'attendre à ce qu'il exerce son
pouvoir sur certains de tes hommes. Il essaiera certainement de le faire.
    —   Comment puis-je l'en empêcher ?
    —   Je l'ignore. Mais si cela arrivait... le sang des Ilduins
porte un jugement impitoyable. Sois méfiant et dis à tes hommes de l'être. Et
sache une chose. Si tes hommes sont réticents à l'idée de combattre d'autres
Bozandari, ceux qu'il contrôle n'hésiteront pas à faucher les tiens tels des
épis de blé.
    Après quelques minutes de réflexions visiblement sombres,
Tuzza remplit de nouveau leurs coupes de vin.
    —   Dans ce cas, mon seigneur et frère, ce soir, nous devons
profiter des fruits de la terre et des dons des dieux, car nous ne savons pas
quand notre heure viendra.
    Archer leva son verre à ses paroles.
     —  Il nous faut savoir ce qui se passe au nord de Bozandar.
Depuis le début de la rébellion, tes troupes nous ont empêchés d'envoyer des
éclaireurs dans cette direction. Si tu peux obtenir des informations d'une
manière ou d'une autre, je t'en serai reconnaissant. Il n'est jamais sage
d'aller à la rencontre d'un ennemi en ignorant tout de lui.
    Tuzza hocha la tête.
    —   Je trouverai un moyen.
    —   Je suis sûr qu'une armée marche sur nous afin de vous
secourir. Réfléchis, Tuzza. Je ne voudrais pas que des vies soient inutilement
ravies. Nous devons trouver un moyen d'empêcher cette bataille et de les
convaincre de se rallier à nous.
    —   Ce sera encore plus difficile qu'aujourd'hui.
    —   Oui-da. Je connais la fierté de l'armée bozandari. Et,
que tu le croies ou non, les Anari sont tout aussi têtus. J'aimerais éviter un
massacre, si c'est possible. Nous aurons besoin de tous les hommes valides afin
de combattre le Mal.
    Tuzza esquissa un sourire narquois.
    —   Apparemment, nous aurons également besoin de certaines Ilduins.
    —   Oui-da. Car il a corrompu l'esprit de deux d'entre elles
au moins et peut-être plus.
    —   Il faut combattre le feu par le feu.
    —   C'est triste à dire. Je ne corromprais jamais ces femmes
de quelque façon que soit, si j'avais le choix.
    Tuzza soupira.
    —   Je crois qu'elles ne le seront pas, mon seigneur.  Elles
verront ce qu’elles ne devraient pas voir et accompliront des actes regrettables
mais elles comprendront pourquoi ces choix étaient inévitables, comme le
comprend tout bon soldat.
    —   J'espère que tu dis vrai. Les trois qui sont parmi nous
semblent parfois drapées d’une pureté intouchable. Je crains qu'elles ne
résistent pas à cette épreuve.
    —   La guerre implique un lourd tribut. Mais peut-être Dame
Tess voudra-t-elle bien m’accompagner à la rencontre de l'armée de Bozandar ?
Si elle pouvait refaire ce qu'elle a réalise aujourd'hui, ma tâche en serait
facilitée.
    Archer fronça les sourcils.
    —   Tu n'iras pas seul, Tuzza. Je refuse de te voir accusé
de trahison et mis aux fers par les tiens. Tu n'es pas un traître et nous avons
besoin de toi.
    —   La trahison est dans les yeux de celui qui regarde,
Maître Archer. Mon empereur ne verra pas mes actes autrement que comme une
trahison.
    —