L'ultime prophétie
terre. Non, nous ne
sommes malheureux que pour nous-mêmes car la disparition de ceux que nous
aimons laisse un vide dans nos vies.
— C'est aussi ce qu'on nous enseigne. C'est comme si un
morceau de chair nous était arraché. Nous ne souffrons pas de la douleur de
cette partie de nous-mêmes. Nous souffrons à cause de ce qui reste, une chair à
vif, ouverte et déchirée. Tant que le corps n'a pas réparé la blessure, la
douleur demeure. Mais la plaie n'est jamais totalement refermée car la
cicatrice ne remplacera jamais la chair qui a disparu.
— Tout à fait, dit Tess en serrant la main de sa sœur.
— Tu veux dire que Ratha a besoin de temps afin que le
vide laissé par la mort de Giri laisse place à une cicatrice.
Tess opina.
— Et tant qu'il ne l'aura pas fait, ma chère sœur, il sera
trop malheureux pour percevoir ton amour pour lui. Ou celui qu'il ressent pour
toi.
— Ne me donne pas de faux espoirs, répliqua Cilla un peu
sèchement. Puis, après un silence, elle ajouta : Pardonnez-moi, ma dame. Je
n'avais pas l'intention de vous parler ainsi.
— Il n'y a rien à pardonner. Et je ne suis pas ta dame,
mais ta sœur. Assez de gens me présentent leurs hommages !
Cilla hocha la tête.
— Oui, ma sœur.
— Et il ne s'agit pas de faux espoirs. Ne te fie pas à ce
que tu vois sur le visage de Ratha aujourd'hui, ni à ses paroles. Il n'est pas
en mesure de te regarder, de t'entendre ou de te parler. Seul son chagrin te
regarde, t'entend et te parle. Le chagrin est incapable d'amour. Mais Ratha,
oui.
Tess soupira, puis baissa les yeux au sol, admirant les
pavés aux couleurs de l’arc-en-ciel sous ses pieds, s'efforçant en vain de se
rappeler le chant que les pierres d'Anahar avaient entonné afin de convoquer
les Anari. Ce chant avait paru lui ouvrir l'âme, l'emplir d'un sentiment de
crainte mêlée d'admiration qui lui avait fait du bien, contrairement à la peur
qu'elle avait ressentie lors de son réveil amnésique.
— Le chagrin est un sentiment impitoyable, Cilla. Il
s'empare de nous tel un animal vorace et il est difficile d'échapper à ses
griffes. Nous avons tant de mal à accepter que l'être que nous aimions est
perdu pour nous à jamais. Ce serait plus facile pour Ratha si Giri était parti
pour un long voyage sans avoir l'intention de revenir. Au moins saurait-il
alors que son frère est toujours en vie quelque part dans ce monde et qu'un
jour, il pourrait entendre de nouveau sa voix. Un tel espoir n'existe plus
désormais. Mais il finira par l'accepter et il reviendra alors vers toi.
Cilla serra la main de Tess dans la sienne.
— Je prie pour que tu dises vrai, ma sœur. Car mon cœur
bondit de joie autant qu'il est déchiré quand je le vois. Je l'ai longtemps
admiré, enfant, lorsque je me cachais parmi les rochers pour le regarder jouer.
Il était perdu à mes yeux pendant plus longtemps encore, après sa capture.
Enfin, il est revenu, et j'ai eu le sentiment d'avoir retrouvé une partie de
mon âme. Hélas, à présent...
— Il est parti de nouveau. Pour un temps. Pour un temps
seulement, ma sœur. Tu t'es montrée patiente toutes ces années. Ne perds pas
cette patience maintenant.
— Ecoutez-vous ! Quelle tristesse, quel chagrin !
Tess et Cilla se retournèrent et virent Sara courir à leur
rencontre. Son visage rayonnait de bonheur.
— Pourquoi n'es-tu pas dans ta chambre avec ton époux ? demanda
Tess.
Sara émit un gloussement.
— Il semblerait que les hommes manquent... d'endurance.
Cilla leva la main pour l'arrêter.
— Tu as réclamé de l'intimité, si je me souviens bien ? Et
maintenant, tu vas nous raconter ce que nous aurions pu entendre nous-mêmes ?
Sara secoua la tête.
— Non. Je ne dirai pas un mot de plus. Mais une femme ne
peut pas vivre uniquement dans les bras de son mari. Pas moi, en tout cas. J'ai
besoin de passer du temps avec mes sœurs. Alors, ne m'en voulez pas de ma présence
ni si je dois vous quitter. Tom ne dormira pas toute la journée et je serai là
lorsqu'il se réveillera.
— J'en suis sûre, dit Tess en riant. Elle se tourna vers
Cilla. Viens vite, allons au temple pendant qu'il dort car les... envies de
Sara... risquent de la rappeler avant qu'elle ait pu apprendre quoi que ce
soit.
— D'une certaine façon, dit Cilla, je crois qu'elle en
apprend déjà beaucoup. Mais il ne s'agit pas du savoir des Ilduins.
Sara sourit.
— Avec
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