L'ultime prophétie
leur lit. Ces derniers étaient bien trop nombreux, en
comparaison des couches dont elle disposait.
Et Cilla savait que cette nuit, le nombre des blessés
augmenterait.
35.
Les combats de la nuit n'avaient été en définitive qu'une
série d'escarmouches brèves mais violentes. L'ennemi avait attaqué plusieurs
fois chaque position du périmètre de leur armée. Chaque fois, celle-ci avait
employé la tactique du marteau et de l'enclume afin de tirer avantage des
faiblesses de l'adversaire. Au lever du soleil, l'ennemi avait essuyé des
milliers de pertes tandis qu'eux-mêmes n'avaient perdu qu'une centaine
d'hommes. Les premières unités avaient déjà repris la marche et les Loups des
Neiges s'apprêtaient à prendre place au centre des colonnes.
Tuzza n'avait guère été rassuré à l'annonce de Maître Archer
selon laquelle Dame Tess et lui allaient laisser les Loups des Neiges sous le
commandement de Tuzza.
— Nous avons une mission personnelle à remplir si nous
voulons que cette armée ait le moindre espoir de l'emporter, avait dit Archer.
— Votre frère, avait répondu Tuzza.
Archer avait hoché la tête en silence, ne souhaitant
visiblement pas lui fournir de plus amples explications.
Tuzza avait évidemment quelque idée de la mission qu'Archer
et Tess devaient remplir car il avait assisté à bien des conversations depuis
des semaines, depuis leur départ d'Anahar. Sans doute tous ses hommes
avaient-ils eu vent des rumeurs et savaient-ils ce qui se préparait. Mais il
craignait pour le moral des troupes si celles-ci soupçonnaient qu'elles avaient
été abandonnées au moment fatidique.
— Ne vous laissez pas conseiller par vos peurs, dit Tom,
apparaissant subitement à côté de lui, les yeux dissimulés par le bandeau de
cuir qu'il portait sans arrêt.
— Tu m'as fait peur, prophète.
— Toutes mes excuses, commandant. J'ai sans doute bien
fait néanmoins. L'inquiétude assombrissait votre visage.
Tuzza feignit de sourire.
— On ne parle pas du poids du commandement pour rien, mon
jeune ami.
— Sans doute. Mais ne vous accablez pas d'un fardeau qui
n'est pas le vôtre. Chacun de nous doit faire ce qu'il peut et prier pour que
les dieux couronnent nos efforts de succès.
Tuzza pinça les lèvres.
— Tu ne m'en voudras pas de dire qu'il est plus facile de
le faire lorsque vos décisions ne provoquent pas morts et blessés parmi vos
hommes. Je ne veux pas vous manquer de respect, prophète, mais les soldats sont
sur le point de livrer bataille, une bataille dont je sais qu'ils ne peuvent
l'emporter seuls. La fin de cette guerre sera écrite par Annuvil et la Dame Filandière. S'ils ne peuvent triompher d'Ardred, nous mourrons inévitablement. Mes
hommes ne sont-ils pas alors que des marionnettes dans leur jeu ?
Tom sembla réfléchir un instant avant de répondre.
— Avez-vous jamais bâti une maison, commandant ?
— Non. Jamais.
— Moi oui, à Whitewater. Quand un incendie ou une tornade
détruisait la maison d'un villageois, nous l'aidions tous à la reconstruire.
— A Bozandar, cet homme paierait quelqu'un pour le faire.
Je ne dis pas que c'est mieux ou moins bien. C'est simplement une manière
différente de faire les choses.
— Oui-da. Quand j'aidais à bâtir une maison, je ne
touchais peut-être alors qu'aux poutres d'un seul mur ou ne posais qu'une
partie du goudron ou du chaume sur le toit. Mes mains n'étaient-elles pas que
de simples instruments au service d'un effort plus grand dont l'issue ne
dépendait pas de moi ? Ne gaspillais-je pas ma sueur et les ampoules sur mes
mains si mon voisin n'exécutait pas correctement sa part du travail ou si une
tempête s'abattait sur la maison avant que nous n'eussions pu la terminer ?
— Mais il s'agissait là de ta sueur, de tes ampoules,
rétorqua Tuzza. Tu assumais la seule responsabilité de tes actions en aidant
ton voisin. Ma responsabilité n'est rien à côté du prix que mes hommes et leurs
familles devront payer. Je puis choisir d'aider à construire cette maison mais
ces hommes...
Il engloba les rangs des Loups des Neiges d'un geste de la
main.
— Ces hommes souffriront les conséquences de mes
décisions. Pire encore, ils pourraient ne jamais revoir leur foyer. Il est
facile, trop facile pour nous de dire que le jeu en vaut la chandelle. Si nous
sommes victorieux, nous verrons le bout du tunnel. Mais bien trop d'hommes ne
verront
Weitere Kostenlose Bücher