L'ultime prophétie
à ce sujet. Ni sur le fait
qu'Ardred ait réservé ces armes pour la bataille finale. Il sait qu'il lui faut
tuer un Premier Né afin de s'emparer de la Dame Filandière. Il est prêt à le faire.
— Vous avez dit aux autres que seule votre propre épée
pouvait vous tuer, fit remarquer Tess.
— Oui-da. Le poison ne me tuera pas mais je ne suis pas
totalement immunisé contre lui.
Il leva le bras.
— Il suffirait d'une coupure ici pour paralyser mon bras.
J'en retrouverais l'usage à terme mais si mon épée tombait entre les mains de
l'Ennemi entre-temps...
Il n'avait pas besoin d'achever sa phrase.
— Je ne le permettrais pas, dit Tess.
— Faites attention à ne pas trop exposer vos pouvoirs, la
mit en garde Archer. Il tentera de s'en servir contre vous. Et il sait
davantage que vous ce dont vous êtes capable.
Tess soupira et tenta de calmer le sentiment d'impuissance
qui l'envahissait.
— Cette idée est pire que tout. J'ai trop souvent le
sentiment d'agir aveuglément, de lancer une flèche sans viser une cible. Il lui
suffit alors de diriger cette flèche vers la cible qu'il aura choisie, lui.
Chaque fois que j'ai réussi à accomplir quelque chose, j'ai été aussi surprise
que les autres.
— N'est-ce pas le cas pour chacun d'entre nous, Tess ?
Nous nous lançons avec une intention en tête et cette idée se transforme au fur
et à mesure que nous avançons. Nous nous retrouvons souvent là où nous ne
voulions pas aller.
— Oui-da. Mais cela ne rend pas les choses plus faciles.
Si j'étais peintre, je serais sans doute ravie de voir mon œuvre prendre vie et
différer de la vision que j'avais eue d'elle. Je ne m'inquiéterais pas de créer
une autre plaine de Verre. Mais je suis la Dame Filandière et je ne puis même pas jouer ce rôle avec confiance.
— Nous devons tous assumer des rôles que nous n'avions pas
prévus, dit Archer d'une voix teintée de tristesse. Comme si nous venions au
monde avec des ordres secrets que nous sommes incapables de déchiffrer. Cruel
destin que celui d'un être de légende, un objet de prophétie, un agent du
destin. Nous vivons dans l'ombre de cette destinée, Tess. Tous. J'ai souvent
rêvé d'un foyer, de champs, d'une femme et d'enfants. Une vie au grand jour,
aussi dure et ordinaire soit-elle.
Tess détourna les yeux car ces mots faisaient écho à ses
propres pensées. Des larmes coulèrent sur ses joues. Elle se souvint de mots
religieux appris dans son enfance. Ces rêves étaient si ancrés en elle ! Et pourtant,
elle ne se souvenait pas d'un jour où elle avait vécu « au grand jour », comme
disait Archer.
Avait-elle jamais été amoureuse ? Avait-elle connu cette
émotion humaine élémentaire, celle de regarder un être dans les yeux et d'y
voir la lumière que Sara lisait dans ceux de Tom ou Cilla dans ceux de Ratha ?
Si tel était le cas, cette expérience demeurait emprisonnée dans un passé qui
se dérobait à elle.
Elle sentit la main d'Archer se poser sur son épaule,
apaisante, et réalisa qu'elle sanglotait.
— Qu'y a-t-il, Tess ?
Elle le regarda enfin.
— Je n'ai jamais connu l'amour.
Il n'aurait pas pâli davantage si elle l'avait frappé à
l'estomac.
— Oh... Tess.
— Comment était-ce... avec elle ?
Tess s'était attendu à voir les yeux gris d'Archer
s'assombrir, comme chaque fois qu'il se souvenait du Premier Age. Mais non, pas
cette fois.
— Je ne puis parler que de ce que j'éprouve aujourd'hui,
dit-il.
Elle crut d'abord qu'il voulait changer de sujet mais elle
vit alors qu'il avait les larmes aux yeux.
— Ma vie n'est entière que lorsque je suis avec toi, Tess.
Le cœur de Tess se mit à battre la chamade. Elle ferma les
yeux, incapable de le regarder. L'aimait-elle ? Pouvait-elle le croire ?
— Archer... je...
— Je t'aime depuis la première fois où je t'ai tenue dans
mes bras, sur la route de Whitewater. Lorsque je t'ai vue dans ces vêtements
blancs, j'ai cru que mon cœur allait se rompre. La première fois que je t'ai
entendu parler la langue ancienne... Tu étais elle. Thériel, mon amour défunt.
Mais...
— Je n'ai aucune envie d'être la réincarnation d'une
autre, dit Tess avec douceur.
— Non, murmura Archer. Tu n'étais pas Thériel. Elle n'est
qu'un souvenir, un nuage de fumée que je ne puis pas plus saisir que le vent.
Malgré mon amour pour elle, le vide dans mon cœur lorsque je la perdis, le
chagrin
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