L'ultime prophétie

jamais la lumière pour laquelle ils se seront sacrifiés. Quant aux
survivants, ils n'auront pas les honneurs de cette victoire car ils auront
combattu et se seront saignés à blanc afin qu'Annuvil et Ardred puissent régler
leur vieux conflit.
    —   Croyez-vous en notre cause ? s'enquit simplement Tom.
    Tuzza se demanda d'abord si Tom remettait en doute sa
loyauté. Mais cette question n'était sans doute pas complètement infondée.
    —   Oui, repartit-il enfin. Et si nous ne pouvons rien faire
mis à part occuper l'armée d'Ardred afin qu'Annuvil et la Dame Filandière se chargent de lui directement, très bien. Mais j'ai de la peine pour ces
hommes, prophète. Chaque mort parmi eux est un poids de plus sur ma conscience.
Lorsque je rejoindrai les dieux, je prie pour que ce poids ne soit pas si grand
que je doive être banni. Je crains de le mériter déjà.
    —   Laissez les dieux décider de cela, commandant, dit Tom
en prenant Tuzza par l'épaule. Nous n'avons pas la sagesse de le faire
nous-mêmes.
    — Oui-da, dit Tuzza. Et le monde fut jadis déchiré à cause
de ce défaut de sagesse.
     
    —   Nombre d'entre eux vont penser que nous les abandonnons,
dit Tess doucement.
    Archer et elle avaient quitté la vallée du fleuve Aremnos et
se dirigeaient vers les pins sombres qui recouvraient les flancs des montagnes
de Panthos. Le terrain ressemblait ici à ce qu'elle avait vu lorsqu'elle
s'était réveillée sur les rives du fleuve Adasen, non loin de Whitewater.
Toutefois, une fois qu'ils eurent franchi une côte, ils se trouvèrent au sommet
d'un promontoire qui surplombait la vallée et le plateau derrière eux, à deux
jours de marche mais toujours aussi sinistres. Cette désolation semblait
symboliser le néant qui les attendait.
    —   Nous n'avons pas le choix si nous voulons l'emporter,
dit Archer. Si nous restions avec eux, tous mourraient. Pire encore, ceux qui
sont tombés jusqu'à ce jour et qui mourront ou mourraient si nous échouions,
auraient sacrifié leur vie pour rien.
    —   Oui-da, répondit Tess.
    Il ne faisait pas de doute que deux individus pouvaient
voyager plus discrètement qu'une armée tout entière. Les éclaireurs d'Ardred ne
pourraient surveiller tous les sentiers de cette forêt. De toute façon, la
plupart du temps, Tess et Archer chevauchaient à travers bois.
    Tess avait découvert qu'elle connaissait instinctivement le
terrain devant eux, les ravins et les obstacles qui pourraient leur bloquer la
route. Ce n'était pas un effet de ses pouvoirs d'Ilduin, elle le savait, mais
un vestige de son passé, un passé marqué et forgé par la guerre et
l'entraînement militaire.
    La guerre et la mort avaient régi sa vie depuis toujours.
Elle espérait que ceci prendrait fin après cette dernière bataille. Jour après
jour, elle aspirait davantage à une vie paisible, une vie faite de tâches
ordinaires qui régleraient ses journées, saison après saison, heure après
heure.
    —   Vous êtes lasse, dit Archer.
    —   Oui.
    Il immobilisa sa monture.
    —   Reposons-nous, alors.
    Elle secoua la tête.
    —   La lassitude que j'éprouve ne disparaîtra pas avec une
heure de repos, ni même une journée. Nous devons continuer. Je ne pourrai me
reposer que lorsque tout ceci prendra fin.
    Il hocha la tête en silence.
    Ils avaient passé trop de temps en silence. En partie parce
qu'ils voulaient entendre d'éventuels poursuivants ou les indices d'une
possible embuscade, certes ; mais leur silence était avant tout dû au fardeau que
chacun portait en lui, sans vouloir le partager au risque d'accabler l'autre.
    Des heures plus tard, ils découvrirent une grotte assez
grande pour les abriter, eux et leurs chevaux. Après s'être occupés de leurs
montures, les avoir brossées, abreuvées et nourries, après avoir partagé une
ration de leurs provisions, bien insuffisante, ils finirent par se reposer et
par parler.
    —   Demain soir à la même heure, dit Archer en fixant les
étoiles qui étaient si brillantes dans l'air pur de la montagne qu'elles paraissaient
plus proches, nous serons aux portes d'Arderon.
    —   Oui, dit Tess. Nous pourrions trouver un abri à
l'extérieur de la ville et attendre le jour.
    —   Oui. Nous ne pouvons pas approcher de nuit comme des voleurs
car les gardes risqueraient de nous attaquer avec leurs épées imprégnées de
poison ilduin.
    —   Etes-vous sûr qu'ils seront ainsi armés ?
    —   Je n'ai pas le moindre doute