L'ultime prophétie

les blessés de la légion d'Alezzi, il avait décidé
de tuer le temps en examinant la strophe obscure d'une prophétie qu'il avait
trouvée parmi les parchemins d'Erkiah. Mais les références vagues du texte aux
nuages, à la brume, au soleil et au feu lui semblèrent incompréhensibles. S'il
y avait un sens profond à ce texte, il se cachait derrière un écran de fumée
que sa fatigue, sa frustration et son inquiétude rendaient plus épais encore.
    Les techniques militaires qui occupaient l'armée et ses
généraux en ce moment lui étaient inconnues et il ne pouvait apporter qu'une
maigre contribution aux conseils de guerre quotidiens. Il ne pouvait pas non
plus rester avec Sara car elle allait et venait rapidement entre les régiments
d'Alezzi au fur et à mesure qu'ils repéraient les environs. Erkiah et Maluzza
avaient tous deux insisté pour que Tom ne s'éloignât pas trop afin d'être
disponible si nécessaire. A deux reprises déjà, Sara avait failli se faire
capturer alors que son garde du corps et elle allaient d'une patrouille à une
autre.
    Tom ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter pour elle et était
incapable de penser à autre chose.
    —   Bonjour, Maître Archer, dit-il, ravi de cette
interruption. Les préparatifs se déroulent bien ?
    —   Aussi bien que nous pouvons l'espérer. Il y a trop à
apprendre et trop peu de temps pour le faire, mais n'en a-t-il pas toujours été
ainsi depuis le début ?
    —   Oui-da, répondit Tom en montrant un siège à Archer.
Votre frère ne nous a guère laissé de répit.
    —   Non, en effet.
    Archer s'assit et soupira.
    —   L'heure est maintenant venue de l'affronter. Nous devons
nous préparer.
    —   Nous ? demanda Tom.
    —   Oui-da.
    Archer était visiblement mal à l'aise et l'espace d'un
instant, Tom se demanda s'il avait dit quelque chose qu'il ne fallait pas. Mais
il ne trouva pas.
    —   Qu'est-ce qui vous inquiète, mon seigneur ?
    —   Qu'est-ce qui ne m'inquiète pas ? répliqua Archer. Pour
l'heure, ce qui me tourmente le plus, c'est ma propre faiblesse.
    —   Eshkaron Treysahrans .
    —   Oui-da, Fils Orphelin. J'écrivis ces mots autrfois mais
mon esprit n'était pas à ce que j'écrivais. A présent je dois me tourner vers
toi pour me guider car sinon, je risque de me tromper et d'échouer. Une
nouvelle fois.
    —   Le Seigneur Annuvil n'échoua pas..., commença Tom.
    Archer l'interrompit.
    —   J'ai accepté cette erreur et la faute était grave, Tom.
Je ne veux pas recommencer. C'est pourquoi j'ai besoin de toi. Je veux être ton
disciple. Enseigne-moi. Je t'en prie.
    L'homme qui se tenait face à lui était différent de tous les
autres que Tom connaissait. L'être solide qui les dirigeait depuis des mois
avait disparu. L'espace d'un instant, Tom crut voir Annuvil, celui du Premier
Age, et non Archer Blackcloak, l'homme qui errait dans ce monde depuis sa
création. Tom réalisa soudain qu'il n'avait jamais pensé à Annuvil, au jeune
homme qui avait rivalisé avec son frère, leur affection fraternelle se
transformant peu à peu en colère, en rage et en une haine qui les avait
consumés jusqu'à détruire leur monde et eux-mêmes.
    —   Vous savez que vous devez affronter votre frère.
    —   Oui-da, fit Archer. Je sais que ce moment était
inévitable. Si j'avais pu faire face autrefois, nous n'en serions sans doute
pas là.
    Tom prit une courte inspiration.
    —   Je ne suis pas sûr que les choses auraient été aussi
simples.
    —   Non ? Moi oui. J'ai laissé les factions à leurs
intrigues ; l'une était celle de mon frère, l'autre avait été rassemblée en mon
nom par mon père alors que je ne me souciais que de l'amour d'une femme. Si j'avais
passé ce temps à parler à Ardred, si j'avais compris son mécontentement,
j'aurais pu trouver le moyen d'empêcher le meurtre de Thériel, la revanche des Ilduins
et la destruction du monde.
    —   Vous vous sous-estimez. Ou peut-être sures timez-vous ce
qui aurait pu être votre rôle.
    —   Vraiment ? Je ne crois pas, Fils Orphelin. Je vis depuis
des siècles avec mes défauts et mes faiblesses. Si je n'avais rien appris,
alors ces années auraient été gaspillées en vain. Et oui, cette fois, je dois
enfin affronter mon frère. Au lieu de devoir simplement entendre ses
frustrations et sa jalousie, je devrai faire face à un homme dont le cœur s'est
endurci de longs siècles d'amertume.
    Il se frotta le menton et sembla regarder au