L'ultime prophétie
attiré l'attention
générale.
— Nous devrions sans doute être plus discrets,
chuchota-t-elle. Tes hommes n'ont pas besoin de voir leur chef se comporter
comme un écolier amouraché.
— Leur chef est avec la femme qu'il espère prendre pour
épouse quand tout ceci sera terminé.
Cilla en eut le souffle coupé. Son cœur s'emplit de joie
puis de tristesse.
— Ce n'est pas le moment de penser à cela, Ratha. Pas avec
ce qui nous attend.
— Nous n'aurons peut-être pas d'autre occasion. Et si nous
ne parlons pas d'espoir en pareil moment, il ne nous restera que la peur.
La peur. Elle était sa compagne depuis si longtemps qu’elle
avait presque oublié son nom. Mais le mot lui ramena tout à la mémoire. Tant
d'hommes étaient tombés sur le champ de bataille. Si Ratha était un homme bon,
les disparus l'étaient eux aussi. Pourquoi les dieux l'épargneraient-ils ?
Parce qu'elle l'aimait ? Cet amour ne pesait que peu de chose au vu des
événements.
Il avait raison. S'ils renonçaient à espérer, il ne leur
resterait plus rien. Pas même leur amour. Elle déposa un léger baiser sur la
main de Ratha.
— Oui, Ratha Monabi. J'ai l'intention de devenir ta femme
quand cette guerre sera terminée. Nous nous marierons au temple d'Anahar et
nous élèverons nos enfants au sein du clan. Ils t'écouteront raconter les
aventures et les épreuves que nous avons traversées.
Ratha éclata de rire.
— Ils feront semblant d'écouter.
Elle lui serra la main très fort.
— Non, Ratha. Ils écouteront et apprendront ce que veut
dire être anari et le prix que nous avons payé pour vivre libres et en paix.
Ils t'honoreront, toi et tous ceux qui ont payé ce prix.
— Comme Giri, dit-il à voix basse, le cœur serré.
Elle desserra son étreinte.
— Oui, mon cousin. Comme Giri. Nous voudrons oublier ces
moments, oublier la douleur, le chagrin, la peur et les épreuves. Mais nous ne
le pouvons pas. Et nous ne pouvons permettre que nos enfants oublient ou les
enfants de nos enfants. Ces jours doivent être gravés à jamais dans les
mémoires afin que nous évitions qu'ils se répètent un jour.
Ratha sourit.
— Tu parles à un soldat, mon amour. Je ne suis pas scribe.
— Pas encore. Mais qui sait ce que nous serons un jour ?
— Tu voudrais faire de moi un scribe et un prêtre ?
— Et un père, n'oublie pas !
— Et quand trouverais-je le temps de t'aimer ?
répliqua-t-il avant de se pencher vers elle et de l'embrasser.
Elle était sur le point de répondre à son baiser lorsque les
murmures qui les entouraient se muèrent en sifflements. Cilla fut certaine
d'être rouge cramoisi quand leurs lèvres se séparèrent et à sa grande
consternation, Ratha se leva alors, la mit debout et salua ses hommes.
Les sifflements se transformèrent alors en un tonnerre
d'applaudissements. En dépit de son embarras, Cilla ne s'était jamais sentie
aussi légère depuis le jour où elle avait embrassé Ratha pour la première fois.
Plus légère encore car elle savait aujourd'hui que ses sentiments et ses
espoirs étaient partagés. Elle se surprit à sourire largement.
Plus grand fut son étonnement en voyant ce sourire se
refléter sur les visages des soldats. Ils ne se moquaient pas d'eux. Ils
partageaient avec eux ce moment, se rappelant le temps passé avec leurs
bien-aimées, à des lieues ou à des mois ou des années de là. Durant un bref
instant, alors que le soleil se couchait derrière les montagnes, ils ne se
trouvaient plus dans une vallée glaciale, près d'Arderon et d'une bataille
imminente à laquelle nombre d'entre eux ne survivrait pas. Ils étaient de retour
chez eux, dans un monde où ils pouvaient, à loisir, profiter de l'instant
présent.
Ce moment s'acheva aussi rapidement qu'il était venu.
Dès la tombée de la nuit sur la vallée, les cris des
sentinelles se firent entendre, rompant le silence du crépuscule. Ratha l'aida
à se redresser avant même que Cilla n'eût le temps de reconnaître l'origine des
cris.
— En rang ! cria-t-il, bien que les soldats fussent déjà en
mouvement, saisissant leur bouclier au vol et fourrant un dernier morceau de
pain dans leur bouche. En avant, Aigles d'Or, en avant !
L'espace autour de la cantine fut déserté en quelques
minutes et seuls les blessés restèrent. Ils accompagnèrent Cilla vers la tente
des soins et emportèrent de l'eau et de la nourriture pour ceux qui ne
pouvaient quitter
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