Ma soeur la lune
confiance à Trois Poissons? Oui pourrait dire les sottises qui sortiraient de sa bouche, quand elle serait à nouveau la proie du chagrin?
— Va vite, ajouta-t-il pour Petit Couteau.
Et il ramena les herbes hautes sur son épouse et sur lui.
Le temps parut long jusqu'au retour de Petit Couteau et, à cause de l'épaisseur du brouillard, Samig ne le vit que lorsqu'il fut presque au-dessus d'eux. Petit Couteau portait un ik. On aurait dit une immense coquille mal assemblée sur la tête et le dos de l'enfant.
Samig essayait de percer l'obscurité. Peut-être y avait-il d'autres chasseurs derrière le garçon, cachés dans la brume, cachés par la masse de l'ik. Il tira son couteau du fourreau et attendit, poussa Trois Poissons derrière lui, puis s'écarta légèrement d'elle. Si les Chasseurs de Baleines prévoyaient une attaque, Trois Poissons déciderait peut-être de se battre avec eux.
Petit Couteau posa l'ik mais Samig resta dans l'herbe.
S'il s'approche assez près pour me toucher, je saurai qu'il ne me veut aucun mal.
Petit Couteau s'accroupit le plus bas possible, rampa dans l'herbe, puis s'assit jambes croisées devant Samig, près de son bras droit. Il murmura :
— Je suis allé dans l'ulaq de mon père. C'est comme Trois Poissons a dit.
Samig sentit l'enfant trembler, mais il n'y avait nulle trace de pleurs dans sa voix.
— Quelqu'un t'a-t-il vu? s'enquit Samig.
Le garçon hésita, puis affronta le regard de Samig :
— Phoque Mourant.
— Qu'as-tu dit?
— Que tu étais mort et gisais au fond de la crête, tué par Aka.
— Qu'a-t-il ajouté?
— Rien.
— Alors nous devons partir. Quand tu retourneras auprès de ta tribu, ne dis rien. Sauf que tu ne m'as pas vu. Ni moi, ni Trois Poissons.
— Je pars avec toi, supplia Petit Couteau.
— C'est impossible. Ta place est ici, au milieu de ton peuple.
— C'est toi, mon peuple.
Samig se leva et remit son couteau dans son fourreau.
Quelle serait la meilleure solution pour le petit? Pour lui ?
C'est alors que retentit une voix d'homme :
— Laisse-le partir avec toi.
Samig agrippa son couteau.
Surgissant du brouillard gris, Phoque Mourant avançait lentement, mains tendues.
— Je suis un ami. Je n'ai pas de couteau, dit-il posément.
Samig plongea le regard dans celui de l'homme. Sa parole était-elle vérité ou d'autres attendaient-ils derrière lui, tapis dans l'ombre? Samig jeta un rapide coup d'oeil à Petit Couteau. L'avait-on suivi?
Phoque Mourant demeurait immobile, les yeux rivés aux mains de Samig.
— As-tu appelé Aka ?
— Aka n'obéit pas aux hommes.
— Mais, es-tu homme ou esprit?
— Je suis homme.
Un long moment, Phoque Mourant demeura silencieux, ses yeux s'attardant sur le visage de Samig. Il demanda enfin :
— Trois Poissons veut-elle partir avec toi ?
— Oui, répondit Samig.
Phoque Mourant se tourna vers la femme, mais Samig prit garde de ne pas le quitter des yeux.
— Oui, acquiesça Trois Poissons. Je veux le suivre.
— Laisse le garçon t'accompagner aussi. On pourrait l'accuser puisqu'il était avec toi. Et qui peut dire le sort qu'on lui réserverait alors ?
Samig regarda de nouveau Petit Couteau.
— Si tu veux partir avec nous, tu le peux.
— Alors, je viens.
Phoque Mourant hocha la tête et recommanda à l'enfant d'une voix ferme :
— Sois fort. Sois un bon chasseur.
Puis il plongea dans les yeux de Samig, et leur donna la bénédiction de l'alananasika :
— Puisses-tu toujours être fort. Puissent de nombreuses baleines s'offrir à ta lance. Puisses-tu faire de nombreux fils.
Sur quoi il pivota sur lui-même et s'éloigna.
48
La peur au ventre, Samig contourna la falaise.
— Ici? demanda Petit Couteau.
— Oui, cette plage, répondit Samig dont la voix
résonna mince et haut perchée à ses propres oreilles.
Cela faisait deux jours qu'ils voyageaient et le brouillard ne s'était toujours pas levé; la cendre continuait de tomber, fine comme de la suie. Le fond de l'ik en était couvert, et Trois Poissons éter-nuait souvent et bruyamment, faisant vaciller le bateau et soulevant un nuage de cendre qui brûlait la bouche et le nez de Samig et déchirait ses poumons.
— Ton peuple n'y sera pas, remarqua Trois Poissons. Ils seront partis. Ou peut-être sont-ils déjà morts.
Samig sortit la pagaie de l'eau et regarda Trois Poissons assise au milieu de l'esquif.
— Ne dis rien quand tu ne sais rien, répliqua-t-il d'un ton tranquille,
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