Ma soeur la lune
retenant la colère qui montait.
Après quoi, Samig guida l'ik vers le centre de la plage où les cailloux plus fins causeraient moins de dégâts à la coque en peau de lion de mer.
Dès qu'ils eurent posé pied à terre, le sol trembla.
Trois Poissons tomba à genoux. Quand le calme revint, elle leva les yeux sur Samig.
— On devrait repartir. Il y a des esprits mauvais, ici.
Silencieux, Samig continua sa progression vers le haut de la plage, sans se soucier de savoir si sa femme ou Petit Couteau le suivaient.
La cendre s'agglutinait à l'herbe, ralentissant sa démarche. Il repoussa toute pensée de son esprit, espérant apaiser le rythme fou de son cœur, mais son estomac se noua au spectacle de l'ulaq de son père. Des chevrons de bois flotté saillaient du gazon du toit comme les os d'une carcasse pourrissante, de grosses pierres gisaient en de curieux angles.
Certains des siens avaient-ils réchappé? Tous étaient-ils morts? Debout sur une roche, il observa l'ulaq de Longues Dents. Son toit s'était écroulé et la demeure n'était plus qu'un trou béant à flanc de coteau.
L'île était calme; Samig n'entendait ni voix, ni appels d'oiseaux, rien que le clapotis des vagues, courant l'une après l'autre, en un rythme trop rapide, comme si la mer elle-même avait peur.
La terre trembla de nouveau et Samig perçut la voix de Trois Poissons, portée par le vent depuis la plage, affolée, gémissante.
Il est triste que les femmes soient si nécessaires aux hommes, soupira Samig. Mais quel homme peut chasser et coudre à la fois? Il réalisa soudain avec horreur qu'il avait emmené Trois Poissons pour assurer sa propre survie, une partie de lui-même sachant que son peuple avait disparu.
Il sentit alors une main sur son épaule et entendit ces paroles apaisantes :
— Ils se sont peut-être enfuis à temps.
Samig fit volte-face et vit que Petit Couteau l'avait suivi.
— Peut-être.
— Je vais voir.
Samig reconnut la compassion dans les yeux de l'enfant.
— Allons-y ensemble.
Hésitant, il pointa du doigt en direction de l'ulaq de Kayugh.
— Commençons par celui-ci.
Le plus difficile d'abord.
La cendre tombait plus dru et le jour s'assombrit de bonne heure, comme en plein hiver. Samig voyait des nuages noirs s'avancer vers le sommet de Tugix et il commença fébrilement à déplacer le gazon et les pierres dans l'ulaq.
— Il n'y a rien, constata enfin Petit Couteau. Personne de mort. Personne de vivant.
Samig ne souffla mot. Tirant un bout de rideau des débris, il reconnut le motif que sa mère dessinait sur tous ses tissages, carrés sombres sur fond clair. Peut-être, ainsi que l'avait suggéré Petit Couteau, avaient-ils fui, songea-t-il avec une étincelle d'espoir.
Ils se rendirent ensuite à l'ulaq de Longues Dents, déplaçant à nouveau les débris en priant de ne rien trouver.
— Rien, dit Petit Couteau après avoir débarrassé presque tout le gazon effondré.
Samig regarda l'enfant. Une pluie dure et froide s'était mise à tomber et les cheveux de Petit Couteau, sous l'effet de l'humidité, formaient comme un casque noir sur sa tête; son parka répandait des rigoles d'eau sur ses pieds nus. Il avait l'air d'un petit garçon, trop jeune pour endosser les responsabilités et les chagrins d'un homme.
Je ne peux lui demander de m'aider maintenant, songea Samig. Aussi lui dit-il :
— Retourne auprès de Trois Poissons. Tire l'ik jusqu'aux falaises au côté sud. Tu y trouveras des grottes et vous serez hors de portée de l'eau. Va et attends. Je vous rejoins bientôt.
Samig observa le garçon s'éloigner. Quel chagrin vais-je rencontrer que cet enfant ne connaît déjà? Peut-être mon peuple vit-il toujours. Mon père et ma mère. Amgigh et Kiin. Mais les parents de Petit Couteau.
Samig se rendit aux ulas des morts, d'abord à celui où était enterrée sa grand-mère, l'épouse de Shuganan. Le toit n'était pas aussi gravement endommagé que les autres. Samig grimpa avec précaution vers l'entrée du toit dont le trou était scellé par une porte en bois. Au moment où il dégagea l'accès, seule une partie du gazon s'écroula. Samig se hissa à l'intérieur. Une lumière grise filtrait à travers le toit brisé et Samig reconnut la momie de sa grand-mère, toujours intacte, au centre de l'ulaq. Il y avait deux autres silhouettes à côté d'elle, l'une déjà ancienne, de la taille d'un bébé. Mais l'autre s'apparentait à un enfant ou à une petite femme;
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