Ma soeur la lune
ciel nocturne. Il se leva, imité par le garçon.
Soudain, Samig sentit la terre bouger sous ses pieds et il plongea prestement à quatre pattes, attirant le garçon à lui.
— Ce sont les esprits de la montagne, murmura
Samig, mais il lui semblait que l'enfant n'avait pas entendu.
Le bruit était assourdissant, les pierres et les cailloux s'entrechoquaient depuis le flanc de la crête.
Samig rampa dans la hutte tout en poussant le garçon devant lui. L'enfant ne soufflait mot, mais une fois à l'intérieur, il se blottit contre Samig qui le serra contre lui jusqu'à ce que le calme fût revenu.
Le rouge brûla dans le ciel toute la nuit. Samig était incapable de dormir, mais l'enfant s'assoupit un moment. Quand la brume grise du soleil levant illumina le ciel, Samig se glissa au-dehors. Le brouillard matinal se mêlait à la fumée et Samig ne voyait pas plus loin que le bout de ses doigts.
Soudain, il y eut une petite voix près de lui.
— Nous n'aurions pas dû regarder. Les esprits de la montagne nous ont punis.
— Non, affirma Samig, sans trouver la raison de son désaccord. Non.
L'enfant se tut, et Samig posa les yeux sur lui, ne distinguant qu'un visage sombre.
— Tu devrais repartir. Tu seras en sécurité au village.
— Non, dit l'enfant. Je vais rester encore une journée. Je vais guetter. Tu dois te reposer. J'ai dormi, moi. C'est à ton tour.
Samig leva la main pour ébouriffer les cheveux de l'enfant, mais il changea d'avis et lui demanda :
— Comment t'appelle-t-on ?
— Le fils de Macareux.
— Non. Ton vrai nom.
— Je m'appelle Petit Couteau.
Un bon nom, songea Samig. Un nom d'homme. Le couteau, la vie même.
— Je vais dormir, Petit Couteau.
47
Lorsque Samig s'éveilla, il trouva Trois Poissons à genoux près de lui, le visage sale et tailladé, les yeux rougis d'avoir trop pleuré. Il chercha Petit Couteau par-dessus l'épaule de son épouse, mais celle-ci approcha son visage si près qu'il ne voyait que sa grande bouche et ses dents cassées.
— Beaucoup sont morts, commença-t-elle d'une voix rauque entrecoupée de sanglots, et Roc Dur dit que c'est ta faute. Quelques chasseurs sont sortis dans la mer du Nord. Ils racontent que c'est Aka qui crache du feu. Roc Dur affirme qu'Aka fait la volonté des Traqueurs de Phoques et que tu nous as maudits en regardant la Danse de la Baleine.
La crête trembla de nouveau, envoyant de petites roches sur le promontoire. Trois Poissons hurla.
Petit Couteau se précipita dans l'abri, les yeux écarquillés.
— Elle a peur, expliqua Samig. Vois-tu quelque chose ? Le brouillard s'est-il levé ?
— Non. Il y a de la fumée et du brouillard. La cendre tombe du ciel et recouvre tout.
Il hocha la tête, faisant voleter du blanc qui s'échappa de sa chevelure.
Samig saisit Trois Poissons par les épaules.
— Trois Poissons, dit-il avec fermeté. Cesse de pleurer.
La femme ferma les yeux.
— Cesse de pleurer, répéta Samig. Raconte ce qui s'est passé.
Elle prit plusieurs inspirations courtes et s'essuya les yeux.
— Nous étions endormies, Épouse Dodue et moi. Le sol a commencé à trembler et soudain les rondins de l'ulaq se sont effondrés.
Ses yeux étaient tellement agrandis qu'on aurait cru qu'elle revoyait l'ulaq s'écrouler. Samig eut peur.
Quand elle l'avait réveillé, lui avait-elle dit combien étaient morts?
— Épouse Dodue hurlait, poursuivit Trois Poissons, les joues perlées de larmes. Épouse Dodue était... il y avait du sang dans sa bouche et ses yeux étaient grands ouverts. Et puis le toit s'est effondré sur les lampes à huile et je n'y voyais plus rien, mais je l'ai tirée jusqu'à l'emplacement du trou et alors j'ai vu... Le sang...
Trois Poissons s'essuya le nez du revers de la main. Elle prit une respiration profonde et tremblante :
— Épouse Dodue est morte, annonça-t-elle. L'ulaq de Roc Dur est toujours debout, celui de Phoque Mourant aussi, mais dans l'ulaq de Macareux, tout le monde a été tué, même le bébé...
Trois Poissons se remit à pleurer mais Samig éprouvait davantage d'angoisse pour Petit Couteau, et il leva les yeux sur le garçon qui se tenait debout dans l'entrée de l'abri, le corps raide, les poings serrés.
— Petit Couteau, dit Samig avec tendresse.
Mais il n'y avait pas de mots pour consoler et,
brusquement, Samig se sentit vidé, pensant à ce que devait éprouver Petit Couteau, qui venait de perdre son père, sa mère, ses frères
Weitere Kostenlose Bücher