Ma soeur la lune
la maison.
— Moi aussi, dit Samig.
Et il porta son regard sur les rochers et leur abri. A la maison. Oui, à la maison.
Alors, s'avançant, observant Chagak ôter une à une les nattes qui recouvraient le feu de cuisson, Amgigh demanda :
— Où est mon père ?
Chagak leva des yeux étonnés.
— Il n'était pas à la plage avec toi? Sait-il que Samig est de retour?
— Non, répondit Amgigh. Je le croyais ici, avec toi.
Nez Crochu plongea un long bâton fourchu dans le feu de cuisson d'où elle tira un morceau de viande.
A l'odeur, Samig reconnut du phoque veau marin, qu'on trouvait en abondance aux abords de l'île.
— De la viande de phoque, annonça Chagak d'une voix douce. Merci pour la baleine que tu nous as envoyée. Ton père a gardé ta tête de lance.
— Vous n'avez pas mangé le poison? s'inquiéta Samig.
— Longues Dents savait. Il l'a tranché, répondit Nez Crochu. L'huile nous a duré presque tout l'hiver. Kayugh affirme que tu es un grand chasseur capable de fournir deux villages.
Le visage de Samig rosit sous le compliment et, désireux de détourner l'attention, demanda :
— Où est Petit Canard?
Une tristesse soudaine assombrit les visages de tous.
— Le fils de Petit Canard est mort, expliqua Chagak, et depuis, elle ne parle pas et ne mange presque plus. Les premiers jours, elle marchait quand on lui disait de marcher, travaillait quand on lui disait de travailler, mais maintenant elle est si faible qu'elle attend la mort.
Samig ferma les yeux.
— Je vais lui parler, proposa-t-il.
— Cela ne servira à rien. Elle n'écoute personne. Nul ne peut l'aider, objecta Nez Crochu.
— Elle est dans l'abri ? demanda Samig.
— Oui.
— Va la voir tout de suite, Samig, suggéra Amgigh. Peut-être que te voir sera utile. Oui peut dire ? Je vais chercher mon père.
Samig regarda sa mère qui approuva d'un signe et dit à Baie Rouge :
— Accompagne-le.
Lorsqu'ils pénétrèrent dans l'abri, Baie Rouge avertit avec un petit sourire triste :
— Elle est très maigre.
Des nattes d'herbe recouvraient la totalité du surplomb et le sol grimpait légèrement en direction d'un petit abri ressemblant à une grotte. Des peaux de couchage étaient éparpillées sur les nattes que Samig contourna derrière Baie Rouge. Un mouvement attira l'attention de Samig.
— Petit Canard, appela doucement la jeune femme.
Une lampe à huile brûlait près d'une pile de nattes et, comme les yeux de Samig s'habituaient à l'obscurité, il aperçut Petit Canard. Il s'approcha et frémit d'incrédulité. Sa peau était tendue sur ses os comme la couverture d'un ikyak sur son squelette de bois.
— Petit Canard, répéta Baie Rouge.
Cette fois, la femme releva la tête et, dans le visage racorni, Samig reconnut les yeux. La peau tombait en plis de son menton à ses épaules, et ses mains tremblèrent quand elle les leva vers Samig.
— Samig ? souffla la femme. Tu n'es pas mort ?
Samig s'agenouilla près d'elle.
— Non, Petit Canard, je ne suis pas mort. Je suis là. Je suis revenu à mon peuple.
— Nous te pensions mort, bredouilla Petit Canard. Aka... quand Aka... Nous pensions que tu avais été tué.
— Je suis vivant, murmura Samig.
— Mon fils est mort, dit la femme d'une voix tremblante.
— Je suis désolé.
— Je serai bientôt morte, moi aussi. Alors je serai avec mon fils.
— Il faut que tu manges, dit Samig en se penchant sur la femme qui reposa sa tête sur la natte.
— Je n'ai aucune raison de manger.
— Longues Dents a besoin de toi.
— Il a Nez Crochu.
— Tu pourrais avoir un autre enfant.
— Non. Il n'y a plus d'enfants en moi.
— C'est inutile, intervint calmement Baie Rouge. Il n'y a rien à faire.
— Je vais rester avec elle un moment, proposa Samig.
— A quoi bon, insista Baie Rouge. Elle passe son temps à dormir. Elle ne saura même pas que tu es là.
— Moi, je le saurai.
Baie Rouge demeura debout près de lui tandis qu'il s'asseyait sur ses talons. Il prit la main de Petit Canard dans la sienne et veilla dans le calme.
Ce n'était pas à lui de pleurer. Ce n'était ni sa mère, ni sa grand-mère, ni sa femme, mais le chagrin de Petit Canard pour son fils s'installait profondément dans la poitrine de Samig, comme attiré par sa douleur pour Kiin.
Les rideaux s'écartèrent et Samig leva les yeux. Kayugh venait d'entrer. La joie se mêla au chagrin et Samig fut incapable de prononcer le moindre mot. Un
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