Ma soeur la lune
embarcation autour de l'avancée, évitant facilement les quelques rochers qui affleuraient de l'eau. Il y avait un peu de ressac, Samig utilisa donc sa pagaie pour freiner l'ikyak et s'écarter des rochers. Il regarda vers le rivage, ses yeux accrochèrent une fois de plus un mouvement.
Et si ce n'étaient pas des phoques ? Et si c'était un Chasseur de Baleines? Et s'ils s'étaient lancés à sa poursuite ? Ils le tueraient, sans l'ombre d'un doute. Petit Couteau et Trois Poissons s'en sortiraient-ils indemnes? Samig vit Petit Couteau tirer une lance du tas de provisions placé au centre de l'ik. Samig poussa sa pagaie profond dans l'eau, amenant son ikyak tout contre.
— Quelque chose, derrière ce rocher! s'exclama Petit Couteau à l'adresse de Samig qui ne quittait pas le rivage des yeux.
Trop grand pour un phoque. Un homme? Des Chasseurs de Baleines?
L'homme portait une lance. Samig détacha son harpon fixé au côté droit de l'ikyak. Petit Couteau leva sa javeline à deux bras. Trois Poissons s'accroupit le plus bas possible. L'homme sur la plage leva aussi son arme, puis tira son bras en arrière, prêt à lancer, faisant de rapides pas de côté.
L'allure était familière. Samig avait souvent vu courir exactement comme ça.
— Non ! Noooonnn ! hurla Samig.
Petit Couteau hésita. L'homme sur la plage hésita aussi.
— Longues Dents! C'est moi, Samig! Samig!... C'est un ami, expliqua Samig à Petit Couteau. Range ton arme.
Puis d'autres surgirent sur la plage. Premier Flocon et Oiseau Gris et Amgigh.
Samig fouilla dans l'ombre au-delà des hommes. Kiin? Sa mère? Les femmes étaient-elles là aussi?
Puis, éclaboussant tout autour de lui, son parka jeté de côté, Amgigh. Samig plongea sa pagaie dans l'eau pour amener l'ikyak près de son frère.
Dans les eaux claires, Samig dénoua la jupe et sauta. Samig enserra son frère par les épaules et plissa les yeux pour cacher les larmes qui brûlaient ses paupières.
— Notre mère? s'enquit Samig.
— Elle va bien.
— Kiin?
Amgigh se détourna. Le cœur de Samig battit à tout rompre mais, avant qu'il ne puisse courir après son frère, Longues Dents l'avait saisi en une longue étreinte et Premier Flocon lui ébouriffait les cheveux.
— Ma sœur? murmura Samig à Premier Flocon qui sourit.
— Elle va bien, et notre fils aussi.
— Nous nous demandions si tu nous trouverais, intervint Longues Dents. Et nous devons bientôt reprendre la mer. Avec ses secousses, Aka nous chasse de cette petite plage.
Samig hocha la tête, voyant que Longues Dents savait ce qu'il avait lui-même compris en chemin. Aka détruirait tout dans son voisinage.
Puis, Samig observa les autres hommes, et s'aperçut que son père ne figurait pas parmi eux.
— Notre père? demanda-t-il, soudain affolé, à Amgigh.
Il avait tant à dire à Kayugh sur la façon de chasser la baleine.
— Avec notre mère. Il sera heureux de te voir.
Alors, Longues Dents s'avança vers lui, s eclaircit
la gorge et posa la main sur son épaule.
— Nous en avons perdu deux, déclara-t-il d'une voix tranquille. Aucun pour Aka. Et Qakan commerce avec les Chasseurs de Morses.
— Deux? répéta Samig, sachant que l'un était le fils de Longues Dents, mais incapable de dire à Longues Dents qu'il savait.
Comment un homme pouvait-il avouer à un autre homme qu'il avait profané la tombe de son fils?
— Mon fils, répondit Longues Dents en inclinant la tête. Pour quelque esprit. Nous ne savons quoi. Il refusait de manger et il avait des grosseurs au cou. Son ventre était tout gonflé et il a fini par mourir.
— Longues Dents, je suis désolé.
Mais il ne parvint pas à affronter son regard; il avait peur d'y voir du chagrin, peur aussi de ce que Longues Dents allait lui dire ensuite.
— Kiin est morte, Samig, murmura Longues Dents.
— Ma fille, si belle, s'écria Oiseau Gris d'une voix haut perchée et modulée comme le début d'un chant funèbre de pleureuse.
Samig ne pouvait respirer, ne pouvait parler. Kiin. Kiin. Comment pouvait-elle être morte? Elle venait encore si souvent dans ses rêves. Les morts pou-vaient-ils faire cela?
— Non, dit Samig d'une voix aussi calme que s'il refusait un morceau de nourriture, comme s'il disait à sa petite sœur Mésange de ne pas s'approcher de ses armes. Non, Amgigh, ajouta-t-il en regardant son frère.
Amgigh ne se détourna pas, ne tenta pas de dissimuler ses yeux. Samig y vit l'angoisse, la tristesse
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