Ma soeur la lune
d'un homme pour sa femme, et sut que Longues Dents avait dit vrai.
— Amgigh, je suis désolé.
— C'était pendant que j'étais avec toi chez les Chasseurs de Baleines, raconta Amgigh. Elle est partie pêcher...
Sa voix se brisa et il baissa les yeux.
— La mer l'a prise.
Pendant un moment, le silence, puis Samig sut que, s'il ne parlait pas, il pleurerait, pleurerait pour l'épouse d'un autre, pleurerait comme un enfant. Alors, il prononça les premiers mots qui lui vinrent, rien à propos de Kiin, rien à propos d'Aka :
— J'ai appris à chasser la baleine. Je suis revenu pour t'enseigner. Pour enseigner à tous les Premiers Hommes.
Amgigh leva les yeux, mais la tristesse était là. Puis Samig remarqua autre chose, une chose qu'il n'avait jamais vue avant. Le regard qu'Amgigh avait enfant, chaque fois que Samig le battait à la course, chaque fois que Samig avait lancé des pierres plus loin. La colère.
La tristesse, oui, mais pourquoi la colère ?
53
Alors Samig n'eut pas de mots, rien à dire. Son besoin de Kiin était si fort qu'il laissait dans son corps un vide profond. Chaque respiration, chaque battement de son cœur était une douleur.
Les hommes avaient commencé à poser des questions, mais leur voix n'était qu'un embrouillamini de sons, comme les coassements et les piailleries des guillemots.
Que serait la vie sans Kiin? Autant être mort. Il pourrait alors être auprès d'elle dans les Lumières Dansantes, mais il n'avait pas ce choix. Il était père et mari. Sa vie appartenait à ceux qui dépendaient de lui. D'ailleurs, il avait promis d'enseigner à Kayugh à chasser la baleine. Il avait promis à Amgigh et à Longues Dents.
Il perçut la voix de Petit Couteau au-dessus du brouhaha, claire et haute au-dessus des voix d'hommes. Il se tenait près de l'ik, avec Trois Poissons, se dandinant d'un pied sur l'autre; Trois Poissons, elle, tirait sur son suk.
— J'ai amené quelqu'un avec moi, déclara enfin Samig, interrompant les hommes. Approchez, tous les deux!
Ils avancèrent tranquillement, esquivant le groupe d'hommes rassemblés autour de Samig. Mais Samig attira Petit Couteau vers lui et dit d'une voix forte :
— Petit Couteau, mon fils.
Longues Dents sourit et Samig se réjouit d'avoir amené l'enfant. Il était toujours bon de donner un fils, et plus encore un fils qui était presque un homme, près d'être chasseur.
— Ce sera un homme bien, commenta Amgigh avec calme.
Samig approuva d'un signe de tête.
— C'est déjà un homme.
Samig se tourna ensuite vers Trois Poissons. Elle se tenait là, debout, tête inclinée. Il plaça la main sur son épaule et elle leva les yeux vers lui.
— Elle s'appelle Trois Poissons, expliqua Samig aux hommes. C'est ma femme.
Il nota le regard consterné d'Amgigh, le sourire narquois d'Oiseau Gris.
— C'est une bonne travailleuse, ajouta Samig, sur la défensive, se prenant à espérer qu'elle n'allait pas sourire et dévoiler ses dents cassées.
Nul ne pipa mot et Samig baissa les yeux, regrettant que Trois Poissons ne soit pas restée avec Phoque Mourant. Alors, Trois Poissons émit de petits rires aigus et Samig vit avec horreur qu'elle passait ses mains sur le devant de son suk, moulant le vêtement sur ses seins, les yeux plantés sur le visage de Longues Dents.
— Retourne à l'ik ! ordonna Samig.
Trois Poissons regarda son mari en s'esclaffant, puis se dirigea à pas lents vers le bateau, jetant des coups d'œil en arrière sur les hommes.
— C'est la mère de Petit Couteau? s'enquit Amgigh.
— Non, répondit Samig avec colère. Ce n'est la mère de personne. Je ne l'ai pas amenée de mon plein gré.
— Peut-être devrait-elle repartir.
Samig regarda son frère ahuri.
— Impossible. Si Aka ne l'a pas tuée, la mer s'en chargerait.
— Elle est costaud, intervint Premier Flocon. Elle aidera les autres femmes à porter.
Oui, songea Samig, elle est costaud. C'est toujours ça.
— Je vais te montrer le lieu où se tiennent les femmes, dit Amgigh à Samig. Notre mère et notre père désireront te voir.
— Je vais rester avec Trois Poissons, proposa Longues Dents. Ne vous inquiétez pas pour elle.
Puis, se tournant vers Premier Flocon, il ajouta :
— Conduis Petit Couteau au ruisseau. Montre-lui l'ikyak que tu es en train de construire.
Enfin, il dit pour Samig :
— C'est bien que tu aies amené le garçon.
Le garçon, pas la femme, songea Samig, qui s'abstint de tout
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