Ma soeur la lune
en avant, attrapant Amgigh avant qu'il n'ait le temps d'esquisser le moindre geste. La lame fit une profonde estafilade dans le bras gauche d'Amgigh. Samig grogna et son couteau de manche se retrouva dans sa main. Au même instant, Chasseur de Glace surgit à côté de Samig et lui emprisonna le poignet.
— Ce qui est juste est juste, martela Chasseur de Glace. Qui es-tu pour dire lequel des deux hommes a raison? Que les esprits décident.
Amgigh serra les dents pour empêcher les esprits qui apportent la douleur d'entrer par sa bouche. Puis Amgigh se rua en avant et entailla la poitrine nue du Corbeau. Une ligne de sang perla et goutta sur le sable.
Une fois encore, les couteaux furent projetés avec force, et encore. Le couteau du Corbeau fit jaillir du sang, puis celui d'Amgigh. Les deux hommes reculèrent, se tinrent un moment debout, mains sur les genoux, respirations profondes, longues et dures. Puis le Corbeau fonça en avant. Cette fois, son couteau heurta le couteau d'Amgigh. La lame d'Amgigh se cassa et la pointe s'envola en un grand arc de cercle, d'abord vers le haut comme un oiseau prenant son essor, puis vers le bas, pour se ficher dans le sable.
Alors Samig vit la peur dans le visage d'Amgigh et, avec une nausée qui souleva son estomac, Samig comprit ce qu'Amgigh savait quand il lui avait lancé le couteau, savait en le lui offrant. Pourtant, Samig laissa ses yeux retenir ceux de son frère, laissa son frère voir que la peur d'Amgigh était sa propre peur, qu'esprit à esprit, ils étaient toujours frères.
Alors, là aussi pour la première fois, Samig vit la ligne des sculptures de Kiin qui se tenaient du côté du cercle où était le Corbeau. Les figurines étaient celles que Samig et Amgigh l'avaient aidée à négocier contre de la nourriture et des peaux, contre la vie de leur peuple cet hiver.
Le Corbeau recula, posa les mains sur ses genoux pliés, et respira profondément. Amgigh fit de même, le sang ruisselant de son doigt tranché.
— Les animaux, murmura Samig à l'Homme Morse à son côté, ils appartiennent au Corbeau ?
— Il les a achetés. Tous.
Dix et encore dix, compta Samig. Les animaux de Kiin. Maintenant, ils donnaient le pouvoir à l'homme qui allait tuer son mari. Alors, Samig sentit une main sur son épaule, se retourna et vit Kiin.
— Qu'ai-je fait? chuchota-t-elle. Qu'ai-je fait à mon époux?
Et Samig vit que les yeux de Kiin étaient eux aussi plantés sur les animaux, sur le cercle de sculptures qui observaient : le gris doux du bois, le jaune dur de l'ivoire, le scintillement de multiples yeux, de multiples esprits sur le sol qui donnaient le pouvoir au Corbeau.
Puis, soudain, Amgigh regarda Kiin, et Samig sentit leurs esprits attirés l'un vers l'autre, et la tristesse de Kiin était si forte que Samig la sentit s'écraser contre lui comme le pouvoir de la mer, vague après vague.
Une fois de plus, Samig sortit son couteau de manche. Il le tint bien haut, visible pour les Hommes Morses. C'était un couteau petit, mais très pointu, avec une lame d'andésite. Il le lança à Amgigh, mais au moment où Amgigh tendait la main pour s'en saisir, le Corbeau bondit en avant et enfonça son couteau dans le ventre d'Amgigh. Amgigh recula en titubant, et le couteau de manche tomba. Amgigh s'écroula sur les mains et les genoux; son sang tachait le sable. Il s'empara du couteau de manche mais le Corbeau lui décocha un coup de pied dans le flanc, puis un deuxième, puis un autre. Amgigh planta la courte lame dans la jambe du Corbeau, qui frappa de nouveau du pied, cette fois dans le visage d'Amgigh.
La tête d'Amgigh fut projetée en arrière et Samig entendit le claquement de l'os. Amgigh s'évanouit et le Corbeau fut sur lui, le retourna et lui ficha son couteau dans la poitrine. Samig se précipita. Le Corbeau se releva, recula pour laisser place à Samig qui s'agenouilla près de son frère.
Samig comprima les blessures, mais ses mains étaient incapables de retenir le sang, d'en interrompre le flot.
Alors, Kiin vint à leur côté. Elle posa les bras sur la poitrine d'Amgigh. Ses cheveux étaient rouges du sang de son époux. Elle serra son amulette, la frotta sur le menton d'Amgigh, sur ses joues.
Amgigh inspira profondément, essaya de parler, mais ses mots se perdaient dans le sang qui sortait en bulles de sa bouche. Il respira de nouveau et s'étouffa. Puis ses yeux roulèrent en arrière et s'agrandirent pour libérer son esprit.
Kiin prit la
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