Ma soeur la lune
marchands qui demandaient pour une nuit l'hospitalité de sa chambre. Et que dire de Kiin, une femme si belle connue pour son habileté à sculpter? Qui avait jamais entendu parler d'une femme possédant un tel don? Tous les hommes la désiraient, tous voulaient une chance d'augmenter leur pouvoir en menant Kiin à leur couche.
Samig se glissa hors de sa robe de nuit et alla dans la pièce principale. Toutes les lampes à huile étaient éteintes sauf une, mais une lumière grise filtrait du trou du toit. Samig ouvrit le rideau d'Amgigh et appela son frère.
— Je pars à la pêche, espèce de paresseux. Viens avec moi.
Voyant qu'Amgigh ne répondait pas, Samig repoussa le rideau. Personne. Haussant les épaules, il se rendit à la cache de nourriture mais, tirant une peau de viande de phoque séchée que Kiin leur avait procurée avec ses figurines, il s'interrompit au milieu de son geste.
Son cœur se mit à battre la chamade, sa poitrine se gonfla de sang. Ses mains tremblaient et, quand il serra les poings, il sentit le tressaillement remonter le long de ses bras. Que se passait-il ? Il était là, dans son propre ulaq. Tout allait bien. Amgigh l'aurait appelé, autrement. Pourtant, le tremblement le reprit et son cœur cogna de nouveau trop fort. Peut-être était-il arrivé quelque chose à Kiin, à un de ses fils. Ou peut-être à Trois Poissons.
Il enfila son parka et sortit. Un vent froid soufflait en provenance de la mer et le ciel était gris d'une pluie brumeuse. Samig leva les yeux en direction des collines où Kiin et Trois Poissons avaient passé la nuit, mais il ne vit personne, alors il porta son regard vers la mer. L'ulaq était haut placé et offrait une bonne vue sur le rivage. Il n'y avait aucun ikyak dans l'eau.
Il est tôt, songea Samig. Les commerçants sont devenus paresseux. Il se tourna alors vers l'étendue de sable plat près de la ligne de marée. Le souffle coupé, il comprit pourquoi son cœur s'était emballé. L'esprit d'Amgigh avait appelé son esprit, l'avait invoqué de douleur, d'effroi.
Samig se précipita vers la plage, vers son frère, vers le cercle des marchands rassemblés. Samig s'infiltra à l'intérieur du cercle. Un Homme Morse se battait avec Amgigh. Sa poitrine nue luisait de sueur. Amgigh se tenait devant lui, une main agrippée à son amulette. L'autre était vide et saignait abondamment. L'Homme Morse avait tranché un doigt d'Amgigh; le couteau et le doigt gisaient ensemble sur le sable.
L'Homme Morse leva une main, paume ouverte.
Il parla en langue Morse. A son souffle court, Samig sut que le combat durait depuis longtemps. L'homme désigna Samig.
Un des spectateurs leva les mains vers Samig.
— Je suis Chasseur de Glace. Celui qui lutte est le Corbeau. Il demande si tu es Samig, le frère d'Amgigh.
— Oui. Mais comment sait-il qui je suis ?
— Sa femme, Kiin, lui a parlé de toi.
— Le Corbeau? dit Samig.
Chasseur de Glace hocha la tête. Celui qui avait acheté Kiin à Qakan. Ainsi, il était là pour revendiquer Kiin, peut-être pour réclamer ses fils.
« Tu aurais dû parler à Kiin, murmura l'esprit de Samig. Tu aurais pu l'aider; tu aurais organisé la surveillance de cet homme ; empêché le combat. » Mais il lui avait semblé suffisant que Kiin soit vivante et lui ait donné un fils. S'il s'était autorisé à lui parler, aurait-il pu s'empêcher de la prendre dans ses bras, aurait-il pu s'empêcher de la revendiquer comme épouse? Elle était sienne. L'appartenance était dans les yeux de Kiin chaque fois qu'il la regardait. S'il avait pris le temps de lui poser les questions qui lui brûlaient les lèvres, de lui parler, d'homme à femme, comment aurait-il pu s'empêcher de trahir Amgigh, de trahir Trois Poissons ?
L'homme près de Samig attendait, mains ouvertes.
— Dis à ton ami que, s'il tue mon frère Amgigh, il doit être prêt à se battre contre moi, car je le tuerai.
Samig regarda Amgigh du coin de l'œil et vit son frère baisser les bras, vit ses yeux quitter le Corbeau pour se poser sur Samig.
— Ne lutte pas contre lui, clama Amgigh. Il a tué de nombreux hommes. Que sais-tu des combats ?
Samig faillit lui retourner sa question, mais se ravisa. Pourquoi lui ôter toute confiance ?
Alors, Samig sortit son propre couteau, celui qu'Amgigh avait fait pour lui. Il le lança à son frère qui le rattrapa de sa main indemne. Il sourit à Samig avec une tristesse teintée d'amertume.
Soudain, le Corbeau plongea
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