Ma soeur la lune
qui parvenait de l'autre pièce et celle de Kayugh qui lui répondait. Ils rirent et Samig rit avec eux. Une part de Kiin voulait aller les retrouver. Quitter cette petite pièce et son nouveau mari, rester à la lumière des lampes à huile, coudre et écouter les conversations.
Kiin s'assit en face d'Amgigh. La lumière s'accrocha au rabat de la porte d'herbe et s'attarda, scintillante, dans les cheveux d'Amgigh.
Lentement, Amgigh tendit la main vers Kiin; il effleura ses cheveux, puis son visage. Kiin sentit la douceur de ses doigts et son esprit lui susurra : « Il ne te battra pas. Il sera un bon époux; sois une bonne épouse. »
Alors, Kiin leva les bras et ôta son suk. Elle n'avait pas eu le temps de se préparer comme elle l'aurait souhaité : huiler son dos et ses épaules, écraser des boutons d epilobe séchés dans ses cheveux avant de les peigner, afin de les parfumer délicatement, ou encore effacer les cals de ses mains avec de la pierre de lave. Cependant, elle avait conscience de ses cheveux brillants, de son corps gracieux, de ses seins ronds et doux. Peut-être cela suffirait-il.
— Es-tu heureuse d'être ma femme? murmura Amgigh en s'approchant de Kiin.
Il pressa avec douceur ses pouces depuis ses joues jusqu'à ses lèvres.
S'il lui avait demandé si elle le voulait de préférence à tous les autres chasseurs, Kiin aurait été incapable de répondre. Même à cet instant, il lui fallait repousser ses pensées de la vision de Samig assis dans la pièce d'à côté. Mais comme Amgigh lui avait demandé si elle était heureuse, elle pouvait répondre avec honnêteté. Posant les mains sur les épaules d'Amgigh, elle se pencha afin que son souffle porte ses paroles à son oreille, afin que son murmure soit dénué de tout bégaiement :
— Oui, je suis heureuse, Amgigh. Merci de me prendre pour épouse.
Alors, les mains de l'époux descendirent jusqu'à la ceinture du tablier de l'épouse, dénouèrent son pagne à elle, puis le sien. Délicatement, Kiin posa de côté la dent de baleine. Alors, Amgigh allongea Kiin sur les fourrures de sa couche.
D'autres fois, avec d'autres hommes, Kiin avait lutté. Cela lui semblait le seul moyen de conserver son honneur, même si cela signifiait des bleus — des bleus causés par le commerçant qui l'avait achetée pour la nuit et, plus tard, quand il se plaignait, quand il montrait les marques des dents de Kiin sur sa peau, d'autres bleus parce que son père la battait. Même les rares nuits où un commerçant montrait quelque douceur, elle luttait. Elle luttait contre l'homme, contre la trahison de son propre corps, contre cette partie d'elle qui aurait peut-être capitulé, qui serait devenue comme les femmes Chasseurs de Baleines, dont l'ardeur provoquait la risée.
Mais désormais, Amgigh était son mari. Elle n'avait pas à combattre. Il avait dû connaître d'autres femmes, dans d'autres villages. Elle montrerait à Amgigh qu'elle était capable de le satisfaire autant que n'importe quelle femme.
Elle commença à déplacer ses doigts en cercle sur le ventre d'Amgigh, très lentement. Chagak rit de nouveau; cette fois encore Kayugh répondit. Kiin entendit la voix de Samig et, un instant, ses mains s'immobilisèrent. « Non, dit son esprit. Amgigh, pas Samig. »
Je suis une épouse, songea Kiin en reprenant ses caresses. Épouse d'Amgigh, se dit-elle en obligeant ses mains à bouger au rythme de ses pensées. Épouse d'Amgigh. Épouse d'Amgigh.
Amgigh continua de tenir Kiin dans ses bras même après que sa respiration ralentie lui eut dit qu'elle s'était endormie. Il l'avait prise rapidement. Peut-être, dans un petit moment, serait-il prêt de nouveau. En ce cas il la réveillerait. Mais, pour l'instant, il était agréable de sentir sa douceur contre lui.
Avoir une épouse est mieux que chasser la baleine, se dit-il. Kiin avait eu d'autres hommes, il le savait. Oiseau Gris la vendait pour prix de son hospitalité. Combien de soirs Amgigh avait-il regardé du haut du toit tandis que Samig arpentait la plage ?
Combien de fois avait-il vu la colère sur le visage de Samig quand Kiin émergeait le lendemain matin et boitillait jusqu'au rivage pour laver dans l'eau de la mer le sang qui maculait son visage, ses bras et ses jambes? Et lorsque Samig avait vu Amgigh et Kayugh se diriger vers l'ulaq d'Oiseau Gris, les bras chargés de fourrures, il avait arrêté Amgigh et avait plongé ses yeux dans les siens.
— Fais attention à
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