Ma soeur la lune
Nombreuses Baleines quand il affirmait avoir donné à Kayugh sa petite-fille et son petit-fils?
— En échange, j'ai promis que je te ramènerais ton petit-fils quand il serait un homme afin que tu lui enseignes à chasser la baleine.
Nombreuses Baleines ne pipa mot mais sa femme répondit :
— Seuls les hommes de ce village peuvent chasser la baleine. D'ailleurs, ce garçon n'a pas l'air d'un chasseur. Ses os sont lourds, ses épaules trop larges.
Stupéfait qu'elle ouvre la bouche pendant une réunion d'hommes, Samig attendit que Nombreuses Baleines la réprimande, mais le vieil homme se contenta de hocher la tête.
— Je me rappelle que Chagak nourrissait deux enfants mâles, poursuivit-elle. L'un était son fils, l'autre ton fils. Comment puis-je savoir lequel est le nôtre ?
Ces mots furent comme des pierres posées sur le cœur de Samig qui lutta pour comprendre ce que disait Épouse Dodue. Il n'était pas le fils de Kayugh. Qui était son père, alors ? Il tenta d'attirer l'attention de Kayugh, mais celui-ci gardait les yeux fixés sur Nombreuses Baleines.
Enfin, Kayugh commença à parler, d'abord avec calme, comme s'il se parlait à lui-même, comme si Nombreuses Baleines et sa femme, et même Samig, n'étaient pas dans l'ulaq :
— Samig est déjà honoré dans notre village pour les nombreux phoques qu'il a pris. Il manie son ikyak avec grande habileté. C'est ton petit-fils. Je ne te mentirais pas.
Kayugh se leva et Samig s'empressa de l'imiter.
— Tes marchands sont toujours les bienvenus, conclut Kayugh, adieu traditionnel dans tous les villages qui commerçaient.
Cette fois encore, la brusquerie des paroles de Kayugh étonna Samig. Il lutta pour retenir les ques-tions qui montaient à sa bouche et agir comme s'il savait ce que Kayugh faisait. Kayugh commença à escalader le rondin qui menait au trou du toit.
— Ce serait bien d'avoir un fils dans notre ulaq, remarqua Épouse Dodue. Une vie pour le fils que nous avons perdu au combat contre les Petits Hommes.
— Es-tu prêt à nous le donner comme fils? s'enquit Nombreuses Baleines.
— Petit-fils, rectifia Kayugh. C'est mon fils.
— Emmène-le dehors, dit Nombreuses Baleines. Décide-toi et reviens nous voir.
Samig suivit Kayugh à l'extérieur et se glissa vers le côté gauche du monticule où lui et son père pourraient parler sans crainte que le vent ne porte leurs paroles aux autres sur la plage.
— Veux-tu rester? demanda Kayugh.
Au lieu de répondre, Samig lança :
— Tu n'es pas mon père. Qui est mon père?
Kayugh demeura longtemps sans souffler mot.
Enfin, il murmura :
— Ton père, époux de ta mère, Chagak, était fils de Shuganan le sculpteur.
Samig hocha la tête. Il avait entendu des histoires sur Shuganan. Sur son pouvoir dans le monde de l'esprit. Sa mère lui avait aussi parlé de son village qui avait été détruit par les Petits Hommes, et de sa propre mère qui était une des filles de Nombreuses Baleines.
— Est-ce qu'Amgigh est ton vrai fils? demanda Samig.
Son cœur avait tressailli dans sa poitrine; il se mouvait comme se meut un esprit. Il le sentit d'abord dans ses tempes, puis ses poignets, et maintenant il le sentait derrière ses genoux.
— Oui, c'est mon fils et le fils d'une autre épouse, pas ta mère.
Le cœur de Samig bondit de nouveau, battant à tout rompre au fond de sa gorge.
— Alors, nous ne sommes pas frères ?
— Quand j'ai pris ta mère pour épouse, vous êtes devenus frères et je suis devenu ton père.
— Tu aurais dû nous dire la vérité. Quand nous étions encore tout petits, tu aurais dû nous dire.
Kayugh s'éclaircit la gorge, évitant le regard de Samig :
— Nous avons cru préférable de vous élever dans l'ignorance. Que gagne-t-on à parler des morts ? Qui peut dire quelle malédiction, quelle colère aurait pu venir dans notre ulaq si ta mère avait parlé de ton vrai père, si j'avais évoqué la vraie mère d'Amgigh ?
Samig ferma les yeux et se frotta les paupières.
— Ainsi, Amgigh n'a pas été choisi pour apprendre à chasser la baleine parce qu'il n'est pas le petit-fils de Nombreuses Baleines ?
— Oui.
— Mais si tu avais pu choisir seul, tu aurais choisi Amgigh...
Kayugh regarda vers le ciel puis, quand il tourna à nouveau les yeux vers Samig, ce dernier y lut de l'inquiétude mêlée de tristesse.
— C'est toi que j'aurais choisi parce que tu es le meilleur chasseur, dit Kayugh. Tu restes ?
— Oui,
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