Ma soeur la lune
les mots.
Alors, Kiin se pencha, pressa sa joue contre celle de Chagak et laissa Chagak voir les larmes qui étaient venues dans ses yeux.
Chagak sourit et ajouta :
— Un jour, tu devras le donner à une des femmes de tes fils. Ainsi, ce sera toujours un présent.
Kiin referma ses deux mains sur la figurine, puis en étudia les visages, le suk de la femme, les plumes et les coutures taillées dans l'ivoire. Un moment, ses pensées allèrent aux piètres sculptures de son père, mais elle ferma son esprit à cet homme. Pourquoi laisser la pensée d'Oiseau Gris gâcher sa joie ?
— Alors, tu pars pêcher? s'enquit Chagak.
— Peut-être des menhadens.
— Demande à ta mère si elle veut bien t'accompa-gner, suggéra Chagak. Le vent est fort. Ne pars pas seule.
Kiin sourit. Chagak, toujours à s'inquiéter. Kiin s'empara de son suk et l'enfila par le haut. Elle sortit de l'ulaq, une main accrochée à son pendentif.
Elle se dirigea vers l'ulaq de son père et sa poitrine se serra lorsqu'elle grimpa à l'intérieur mais, à son grand soulagement, son père n'était pas là. Elle appela. L'ulaq était vide. Peut-être sa mère cher-chait-elle des racines ou de la bruyère dans les collines. C'était sans importance. Oui, le vent était fort, descendant vigoureusement du nord en direction de la mer du sud, mais elle resterait du côté sud de la crique de façon que les vagues n'entraînent pas son ik loin des rochers couverts de varech. Il était parfois préférable d'être seule, d'aller doucement pour guetter les loutres de mer ou les phoques.
L'ik se trouvait sur la plage à côté de celui de Chagak, mais celui de Qakan, le seul que lui et le père de Kiin aient fabriqué quand Qakan avait décidé d'être marchand, avait disparu.
Oui, songea Kiin, ce matin Nez Crochu avait raconté que Qakan était parti la veille au soir pour son premier voyage. Il avait emporté presque tout le poisson des claies de séchage. Pouvait-on s'attendre à autre chose de la part de Qakan ?
Mais il était plus brave que Kiin ne l'aurait cru. Il y avait de nombreux problèmes qu'un homme seul devait affronter, même s'il n'était qu'un marchand longeant les plages et les anses. Ce ne serait pas un voyage facile, même s'il allait seulement chez les Chasseurs de Baleines. Outre les sacs à baies, Kiin lui avait confié un certain nombre de paniers. Il avait promis de lui rapporter en retour quelque chose d'une autre tribu. Mais Kiin n'attendait rien. Elle était habituée aux compliments doucereux de Qakan lorsqu'il avait besoin de quelque chose, à son prompt mépris dès qu'il était satisfait.
Tout cela n'avait aucune importance. Désormais, elle était une épouse, et peut-être serait-elle bientôt une mère. Que Qakan agisse à sa guise.
Elle souleva l'ik et le poussa dans l'eau jusqu'à ce que les vagues lèchent le bas de son suk. Puis elle grimpa dans l'embarcation et commença à pagayer. Une fois que le courant eut attrapé l'ik, Kiin se servit de sa pagaie pour le diriger vers les rochers. Elle nouait une ligne à un hameçon lorsqu'elle remarqua une multitude de chitons luisant sur les rochers à fleur d'eau. Elle se pencha et, sortant son couteau de femme de la pochette accrochée à sa taille, elle utilisa le plat de la lame pour les détacher.
Elle travailla jusqu'à obtenir une pile entière de chitons, longs comme la main, leur coquille foncée ourlée comme de petits toits d'ulaq. Puis, à l'aide de sa pagaie, elle repoussa l'ik des rochers. Pourquoi se donner le mal de pêcher? Les chitons feraient à eux seuls un repas de fête.
Il lui faudrait pagayer dur pour regagner la plage. Le courant l'éloignait de la crique, mais elle était habituée; ses bras et son dos étaient solides. Elle avait donné quelques bons coups de rame lorsqu'elle entendit qu'on l'appelait et, levant les yeux, remarqua un ik.
Elle pagaya de nouveau, maintenant son ik immobile dans le courant, puis fit un signe de la main. C'était Qakan. Il n'y avait que lui pour peindre son bateau de façon aussi laide avec des couleurs criardes de marchand.
Elle laissa le courant la ramener vers les rochers puis son ik dériver jusqu'à un endroit tranquille entre deux roches. Rien qu'un jour, rien qu'un jour seul en mer avait été suffisant pour Qakan. Kiin n'était pas surprise. Il ne serait jamais un homme. C'était lui qui vivrait pour le restant de ses jours dans l'ulaq de son père.
Quand il fut suffisamment proche, elle
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