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Ma soeur la lune

Ma soeur la lune

Titel: Ma soeur la lune Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sue Harrison
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chaque moitié sept ou huit bons éclats dont cinq feraient sans doute de bonnes têtes de harpon.
    Il soupesa l'andésite entre ses doigts. Combien de lions de mer lui vaudrait cette roche? Il se posait cette question chaque fois qu'il trouvait un nodule de pierre, chaque fois qu'il fabriquait une lame. Cinq lions de mer pour chaque lame? Non, deux tout au plus. Deux lions de mer pour chacune des cinq lames. Peut-être dix lions de mer dans cette roche. Si les vents et les esprits sont favorables. Si les chasseurs sont adroits.
    Peut-être un de ces lions de mer serait-il le premier d'Amgigh. Samig avait pris son premier voici trois ans.
    Chaque fois qu'Amgigh rentrait bredouille, il lisait la déception dans les yeux de son père. Mais ce dernier se rendait-il compte que, lorsque Longues Dents ou Samig, Premier Flocon ou même Oiseau Gris prenaient un lion de mer, c'était la pointe façonnée par Amgigh qui tuait l'animal? Le soin qu'il apportait à son travail. La précision de son poinçon en os de loutre, la force de son percuteur.
    Alors, qui dans tout le village a pris le plus de lions de mer?
    La fille de Coquille Bleue était debout sur la plage et regardait la mer. Le vent relevait les longues mèches de cheveux noirs du col de son suk pour les rabattre sur son visage.
    Elle regardait la mer. Sans raison. Le marchand était parti; aucun chasseur n'était sorti en ikyak, aucune femme ne péchait.
    Mais il était bon de voir les vagues se propulser comme si elles voulaient atteindre le ciel. Qu'est-ce que Samig lui avait dit? Les esprits de la mer essaient toujours de capturer un esprit du ciel.
    Samig n'était qu'un jeune chasseur, seize étés, peut-être dix-sept, mais c'était un sage. Il posait des questions et réfléchissait à beaucoup de choses, et la fille de Coquille Bleue était toujours heureuse quand il entrait dans l'ulaq de son père. Elle se surprenait à le guetter quand elle allait pêcher des oursins ou quand elle allait sur les collines ramasser des baies de camarine.
    Elle se mit à chanter, une mélopée sur la mer, sur les animaux qui vivent dans la mer. Les paroles suivaient le rythme des vagues.
    Fredonnant toujours, la fille de Coquille Bleue s'accroupit au bord de l'eau et remplit son panier d'eau et de graviers. Doublé de boyau de phoque, ce panier était un de ceux que sa mère avait fabriqués avec de l'ivraie; l'herbe était nouée et cousue si serrée qu'il fallait à l'eau plusieurs jours pour s'échapper. La fille se releva, fit tourbillonner le mélange et le jeta. Elle avait emporté les paniers jusqu'au tas d'ordures et les avait débarrassés des immondices de la nuit avant de venir les rincer dans la mer. Elle avait eu l'intention de se dépêcher. Son père serait en colère si elle s'attardait sur la plage. Mais, cette fois encore, la mer avait attiré son regard et s'était emparée d'elle avec la force d'un aigle saisissant un lagopède.
    Deux jours plus tôt, son père l'avait battue à cause de sa lenteur. Les traces lui raidissaient encore le dos et elle marchait comme une vieille femme. Son cœur aussi avait des bleus, douloureux du silence du jour; sa mère évitait son regard, son frère Qakan se moquait d'elle avec un sourire narquois sur ses lèvres trop grasses.
    Du moins portait-elle son suk. D'ordinaire, lorsqu'elle était dans l'ulaq, elle n'avait sur elle que son tablier d'herbe et était nue au-dessus de la taille. Le vêtement avait amorti les coups et empêché que le bâton n'entaille sa peau.
    Mais qui était-elle pour espérer mieux? Elle était moins que les rochers, moins même que les coquilles qui jonchaient la plage.
    Cessant de chanter, elle relevait deux paniers qu'elle tenait contre le vent pour les sécher quand ses yeux se posèrent sur quelque chose de blanc enfoui dans les roseaux des sables. Elle le déterra.
    C'était une dent de baleine.
    Une dent de baleine, songea la fille de Coquille Bleue. Ici? Aussi près des ulas?
    Elle était grosse comme quatre de ses doigts et longue comme sa main. Sûrement un cadeau de quelque esprit. Mais pas pour elle, bien sûr. Peut-être était-elle censée la donner à son père pour qu'il la sculpte ou l'échange contre de la viande ou des peaux.
    Elle avait vu d'autres figurines — les personnages et les animaux que Shuganan, le vieux grand-père, avait faits. Et si Shuganan avait rejoint le monde des esprits, ses sculptures possédaient encore un immense pouvoir.
    Aux yeux de la fille de

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