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Ma soeur la lune

Ma soeur la lune

Titel: Ma soeur la lune Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sue Harrison
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Coquille Bleue, peu importait combien de jours Oiseau Gris passait à sculpter, et combien de fois il obligeait sa famille au silence pendant qu'il travaillait, ses statuettes ne rivaliseraient jamais avec celles de Shuganan.
    Souvent, quand la fille de Coquille Bleue oubliait de surveiller ses pensées, une part d'elle-même, quelque chose dans sa tête, se gaussait des petits animaux ou des personnages difformes que faisait son père. Une fois, alors qu'elle n'était même pas assez grande pour toucher le toit pentu de l'ulaq, qui descendait pourtant très bas, elle avait dit à sa mère que les sculptures d'Oiseau Gris étaient affreuses. Coquille Bleue, dont les yeux noirs trahissaient l'horreur, avait plaqué une main sur la bouche de sa fille, l'avait tirée en haut du tronc d'arbre entaillé qui servait à monter en haut de l'ulaq, puis elle l'avait conduite en courant jusqu'à la rivière. Là, elle avait lavé à grande eau les mots dans la bouche de sa fille en lui faisant avaler de pleines gorgées.
    Plus tard, de retour dans l'ulaq, la douleur dans sa gorge avait atteint son cœur, et la fille de Coquille Bleue avait compris l'immense différence entre elle et tous les autres gens, même sa mère. Le mal de ce savoir-là était pire que le mal de gorge, pire que toutes les raclées que son père lui avait données. Depuis lors, les mots n'étaient pas venus facilement ; ils semblaient s'enrouler autour de sa langue, se déchiqueter sur ses dents et sortir en miettes. Alors, chaque fois que la fille de Coquille Bleue observait le travail d'Oiseau Gris, elle se rappelait qu'elle était la seule à trouver ces sculptures hideuses, que les choses de l'esprit n'étaient rien pour elle. Elle voyait à travers des yeux vides. Même, par la suite, alors qu'elle avait grandi et que les questions tourbillonnaient et cognaient dans sa tête, elle refusait de se demander pourquoi elle avait toujours perçu la beauté du travail de Shuganan.
    La fille de Coquille Bleue referma sa main sur la dent de baleine et grimpa au sommet du toit de l'ulaq de son père. Jetant les paniers par le trou, elle descendit par les encoches pratiquées sur le rondin mais, avant qu'elle ne puisse se retourner, avant qu'elle ne puisse montrer à son père ce que les esprits lui avaient envoyé, à lui, elle sentit la brûlure de la canne s'abattant sur ses épaules.
    D'instinct, elle s'accroupit, ramassée sur elle-même. Elle lâcha la dent de baleine sur le sol recouvert d'herbe et se protégea la tête de ses deux bras. La peur la poussait à ramasser la dent pour la donner à son père. Elle en obtiendrait trois, peut-être même quatre jours de répit, quatre jours sans punition. Mais elle n'en eut pas le temps et son père abattit à nouveau sa canne, d'abord sur les côtes de sa fille, puis sur les os fragiles de ses mains.
    La fille remisa la douleur dans le creux à la base de ses côtes, en cet endroit où demeure l'esprit des gens qui en ont un. La douleur logeait là, ronde et rougeoyante comme la chaleur du soleil. La fille de Coquille Bleue baissa les paupières et se ferma à la colère de son père ; et quand elle vit la blancheur de la dent de baleine, elle eut le courage de ne pas hurler.
    Les coups cessèrent.
    — Tu es trop lente! cria Oiseau Gris. Je déteste attendre !
    La fille de Coquille Bleue ôta ses mains de sa tête et se releva. D'un regard par-dessus son épaule, elle vit la sueur sur le visage étroit de son père, les jointures de sa main tendues sous la peau comme il agrippait son bâton. Elle imagina cette main sur la dent de baleine, les lèvres ourlées tandis qu'il réfléchissait au petit animal que deviendrait la dent. Alors, la fille de Coquille Bleue n'éprouva plus de douleur, rien qu'une colère, comme une lourde pierre dans sa poitrine.
    Elle n'avait jamais rien possédé. Son suk avait appartenu à sa mère jusqu'à ce que les peaux d'oiseaux s'effritent comme des feuilles mortes. Même les petits cadeaux de Samig, coquillages ou pierres de couleur, lui étaient arrachés des mains par son père ou son frère.
    Elle avait trouvé la dent de baleine. C'était à elle.
    Elle se tourna lentement pour affronter son père et, ce faisant, posa un pied sur la dent. Elle écouta les violents reproches et s'obligea à demeurer immobile quand il leva son bâton. Elle garda les yeux grands ouverts et parvint à ne pas tressaillir.
    Non, elle ne lui donnerait pas la dent. Qu'est-ce que les esprits

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