Ma soeur la lune
Amgigh d'une voix rauque.
Waxtal sourit et s eclaircit la gorge :
— Ils prétendent que Samig a envoyé la baleine en cadeau, commença Waxtal. Mais je leur ai dit que Samig avait eu son compte d'honneurs. Je leur ai dit que c'était mon fils Amgigh, autrefois époux de ma fille, qui avait amené la baleine. C'est à lui que revient l'honneur.
Waxtal vit rougir le visage d'Amgigh. Les paupières d'Amgigh se fermèrent un moment puis se rouvrirent.
Waxtal continua de murmurer à l'oreille d'Amgigh :
— Il y a quelque chose que je dois te dire afin que tu puisses te protéger.
Il s'interrompit et attendit qu'Amgigh hochât la tête.
— Je t'ai appris que Samig n'était pas le vrai fils de Kayugh et que tu n'étais pas le vrai fils de Chagak. Mais Chagak a été une bonne mère pour toi et Kayugh a été un bon père pour Samig. Comme ce doit être. Pourtant, songe à ceci : quel pouvoir une mère donne-t-elle à ses fils? Rien... seulement la nourriture qu'elle prépare et les vêtements qu'elle coud. Un père, lui, donne l'esprit. Or, le vrai père de Samig était un homme mauvais. La plupart des gens l'ignorent. Sauf Chagak et moi. Pas même Kayugh ne sait la vérité au sujet du père de Samig. Si Kayugh l'avait sue, il n'aurait pas laissé vivre Samig.
Waxtal vit Amgigh plisser les yeux, froncer les sourcils puis fermer les paupières. Waxtal ne pouvait prendre le risque de le laisser sombrer dans le sommeil. Il saisit l'épaule d'Amgigh et le secoua :
— Amgigh...
Les yeux d'Amgigh s'ouvrirent brusquement et se fixèrent sur le visage de Waxtal.
— Comment le sais-tu? dit enfin Amgigh d'une voix raffermie. Comment sais-tu, alors que mon père ne sait pas?
— Parce que Chagak a gardé le secret afin que Samig ait le droit de vivre. Parce que j'étais avec Shuganan, le grand-père, quand il est mort, et pendant sa mort, son esprit a lutté avec l'esprit du vrai père de Samig.
— Tu as vu les esprits?
— J'ai entendu les voix.
— Qui était le père de Samig? demanda Amgigh en s'appuyant sur un coude.
Le mouvement le fit tousser et, bientôt, il cracha des glaires, tandis que des haut-le-cœur l'empêchaient de parler.
Puis Waxtal entendit les voix claires de Chagak et de Kayugh parvenir du toit.
— Allonge-toi, dit Waxtal à Amgigh. Je te raconterai plus tard. Mais cela doit demeurer secret. Il y a longtemps, j'ai promis à Chagak de ne rien dire à personne. Cependant toi, tu dois savoir. Samig est peut-être en train de changer. Peut-être est-ce pourquoi il a envoyé la baleine. Peut-être maintenant qu'il vit parmi les Chasseurs de Baleines Shuganan ne peut-il plus le protéger. Peut-être l'esprit de son père a-t-il trouvé l'occasion de venir à lui, d'enfoncer un peu de sa méchanceté dans l'âme de Samig.
Amgigh se rallongea sur les couvertures et, les yeux fermés, leva la main pour presser la main de Waxtal.
Les doigts d'Amgigh étaient froids. Waxtal frémit. Il se rappela la blancheur du visage d'Amgigh quand Kayugh l'avait remonté de la mer, les algues mêlées à ses cheveux. Amgigh était mort, Waxtal en était sûr. N'avait-il pas tenu le corps d'Amgigh tandis que Longues Dents aidait Kayugh à remonter dans son ikyak? Waxtal n'avait-il pas attaché Amgigh, mort, à la proue de son propre bateau? Quel pouvoir Chagak détenait-elle pour que, une fois le garçon enfin sur la plage, le simple fait de se pencher sur lui l'ait ramené à la vie ?
C'est une femme, rien qu'une femme, se rappela Waxtal. Ses pouvoirs ne sont rien comparés à ceux d'un chasseur. Moi, je sculpte, comme Shuganan. Et ce pouvoir-là est celui d'un chaman. Sinon, pourquoi un homme appellerait-il esprit un morceau d'ivoire, un éclat de bois ?
Waxtal lâcha la main d'Amgigh et la fourra sous les peaux de phoque qui le recouvraient. Il répéta dans un souffle :
— Mieux vaut que ta mère ignore que je t'ai tout raconté.
Il attendit un signe d'acquiescement, mais Chagak était déjà dans la chambre en compagnie de Kayugh, qui avait le visage en pleurs. Waxtal se tint un moment debout à les observer, puis les laissa seuls et se glissa en silence hors de l'ulaq pour demeurer debout sur le toit, regardant en direction de l'île Aka, vers la route des marchands.
34
Ils pagayèrent des jours et des jours, voyant deux pleines lunes et s'avançant vers une troisième. L'eau de mer ramollit la couverture de cuir de l'ik, les obligeant à s'arrêter de plus en plus souvent afin de
Weitere Kostenlose Bücher