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Ma soeur la lune

Ma soeur la lune

Titel: Ma soeur la lune Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sue Harrison
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l'eau. Kayugh tendit la main vers la jupe de l'esquif d'Amgigh, voulut couper. Il ne sentait pas le couteau, observait le mouvement malhabile de ses doigts comme si ce n'étaient pas les siens. Il luttait contre l'envie de respirer. La douleur, la douleur dans sa poitrine, dans ses oreilles. Le couteau trancha, enfin.
    Libéré, Amgigh commença à remonter. La mer semblait le pousser vers le haut. Puis Kayugh lâcha le couteau, enveloppa son bras autour de son fils, battit des pieds comme il avait vu faire les loutres. Il ne savait plus où était le ciel et où était le fond de la mer, mais il s'éloigna de la baleine et de l'ikyak.
    Le froid n'était plus le froid, Kayugh ne pouvait plus bouger ni bras ni jambes, son corps était tout raide. Il inspira; l'eau emplit sa bouche, son nez et ses poumons. Il étouffa, laissa entrer encore de l'eau ; il lutta contre la douleur qu'elle causait dans ses poumons.
    Et puis il y eut des mains qui saisissaient le capuchon de son chigadax, qui le tiraient hors de l'eau; la voix d'Oiseau Gris : « Accroche-toi à Amgigh. Accroche-toi à Amgigh... »
    Et ce fut comme s'il était un esprit qui observait.
    Étouffant, toussant, l'eau s'échappant de sa bouche et de son nez, des bras guidant ses jambes dans son ikyak, Longues Dents arrimant les ikyan ensemble, Oiseau Gris attachant Amgigh sur le devant du sien.
    Puis Kayugh fut sur le rivage ; transporté dans son ulaq. Il lutta pour ouvrir les yeux mais en vain.
    Il passait du sommeil à l'éveil, guettant les chants de deuil, même dans ses rêves. Il n'y en avait pas. Rien que des berceuses, des berceuses. Pour quel enfant, quel bébé? Baie Rouge? Amgigh? Samig? Mésange ?
    Au milieu des chansons, la voix de Premier Flocon :
    — Dis à Kayugh que la baleine s'est échouée sur notre rivage.
    Et la voix de Chagak :
    — Ne me parle pas de baleines.
    33
    D'un geste caressant, Chagak repoussait les cheveux du visage de son fils. Cela faisait maintenant deux jours qu'il était allongé dans l'ulaq, paupières closes, la poitrine bougeant à peine.
    Kayugh lui-même était revenu au village presque mort, son ikyak arrimé à celui de Longues Dents, qui pagayait pour deux. Amgigh gisait en travers de la proue de l'embarcation d'Oiseau Gris. Chagak était sur la plage avec les autres femmes; toutes attendaient de voir si leurs chasseurs réussiraient à ramener la baleine.
    Lorsque Oiseau Gris avait détaché Amgigh pour le poser délicatement sur le sable, Nez Crochu avait entonné le chant de deuil, mais Chagak s'était agenouillée près d'Amgigh et avait entendu ce qu'Oiseau Gris n'avait pas entendu, le souffle rauque d'Amgigh.
    Elle avait bondi sur ses pieds et hurlé que son fils était vivant, puis elle avait regardé Longues Dents forcer de ses bras robustes l'eau à quitter les poumons du garçon.
    Même Oiseau Gris — Waxtal — avait aidé à sucer le mucus de la gorge d'Amgigh; et, au lieu de s'en vanter après coup, il s'était contenté de hausser les épaules quand Chagak l'avait remercié, affirmant qu'Amgigh avait été un bon mari pour sa fille.
    Un peu de la méfiance de Chagak envers Oiseau Gris s'en alla, si bien qu'au cours des nuits où Oiseau Gris proposa de veiller Amgigh pour permettre à Chagak de se reposer, elle accepta de bonne grâce.
    Pendant deux jours, Kayugh dormit, le corps secoué de tremblements; il finit cependant par s'éveiller, s'asseoir sur son séant, manger, parler et enfin lutter contre le désir de Chagak de le garder avec elle dans l'ulaq jusqu'au moment où elle le laissa sortir, s'asseoir sur le toit et regarder les femmes dépecer la baleine. La mégaptère gisait sur la plage, immense et sanguinolente. Chagak abhorrait ce spectacle.
    Les baleines lui avaient enlevé Samig pour l'emmener chez le peuple de son grand-père; une baleine avait failli lui prendre Kayugh et maintenant, elle disputait à une baleine la vie d'Amgigh.
    Elle s'empara d'une statuette de baleine qu'Amgigh gardait dans sa chambre. C'était une des sculptures de Shuganan. Depuis des années, chaque fois que Chagak la regardait, elle voyait les mains de Shuganan tenant son couteau incurvé, les yeux de Shuganan en train d'observer, de repérer dans l'ivoire ce que personne d'autre ne voyait tant que l'œuvre n'était pas achevée. Mais cette fois, elle ne voyait pas Shuganan. Elle voyait Samig partir dans son ikyak; elle voyait Amgigh, pâle et immobile. On lui avait pris ses deux fils.
    Autrefois, elle avait

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