Madame de Montespan
déshérence, celle des plus grandes boucheries de Paris. Ce faisant, il lui assurait des revenus substantiels et lui offrait une certaine autonomie financière au regard de son mari harcelé de créanciers.
Un premier geste du Roi, un premier pas ? Athénaïs le sent, Athénaïs le sait. Reste à conquérir.
Et, pendant qu’elle était tout occupée de ses travaux d’approche, Henriette accouchait – le 18 juillet, d’une fille morte ! Elle ne vivait plus depuis dix jours déjà quand sa mère la mit au monde, renchérit Mademoiselle dans ses Mémoires, et l’on s’inquiéta fort de savoir si le baptême de cet enfant que Madame « avait perdu avant que de le posséder » pouvait être efficace ou si son âme était condamnée à errer dans les limbes.
Autre mort qui fut largement commentée à la cour, cette année-là : celle du roi d’Espagne, Philippe IV, survenue le 17 septembre et dont la nouvelle ne parvint au Louvre que dix jours plus tard. La reine Marie-Thérèse, dit-on, sanglota beaucoup sur la disparition d’un père qui pourtant ne lui avait jamais témoigné qu’une maigre affection. Le monarque espagnol, qui avait produit une foule d’infants et d’infantes maladifs, voués pour la plupart à disparaître prématurément, souffrait depuis longtemps déjà du mal qui l’avait emporté : « Il n’était plus qu’une figure hiératique au teint de cire. »
Anne d’Autriche aussi, la reine mère, fut très affligée de cette disparition. Le roi d’Espagne n’était-il pas son frère ? Et elle songeait sans doute, sombrant dans la mélancolie, qu’elle n’allait pas tarder à le rejoindre outre-tombe : le cancer du sein qui la rongeait, la gangrenait, ne lui laissait plus aucun espoir. On eut beau faire appel à tous les empiriques dont on disait grand bien sur la place de Paris, le mal sournois progressait, inexorablement. On en était même venu, selon Françoise de Motteville, à lui mortifier la chair de ce sein qu’elle avait eu si fier, « à lui couper par tranches avec un rasoir ! Cette opération était étonnante à voir. Elle se faisait les matins et les soirs en présence de toute la famille royale et de toutes les personnes qui avaient l’honneur de servir cette princesse et de l’approcher familièrement ».
On eut aussi l’idée – horrible détail thérapeutique ! de nourrir ce cancer « en déposant dans les trous béants quelques morceaux de viande crue ». Quand on pansait la veuve de Louis XIII, on agitait force sachets de senteurs car les odeurs qui émanaient de cette pourriture ulcérée étaient réellement insoutenables, poursuit Mme de Motteville.
Le 20 janvier 1666, Anne d’Autriche cessa de souffrir.
Certes, Louis XIV « pleura dans son lit toute la nuit », mais « il se consolait en pensant qu’il ne lui avait jamais désobéi en rien de conséquence », et il savait peut-être déjà que disparaissait avec la reine mère la dernière barrière susceptible de le retenir sur le chemin de la galanterie ouverte. Dès lors, en effet, ses passions ne connaîtront plus de frein. Il commencera d’ailleurs par officialiser sa liaison avec Louise de La Vallière. Un événement, car depuis un demi-siècle, depuis Henri IV et ses folles amours, alors que le Louvre résonnait des colères et des lamentations de Marie de Médicis et de la marquise de Verneuil, on n’avait plus vu de favorite installée publiquement auprès de la Reine.
Mieux, le Roi-Soleil, dès la mort de sa mère, légitimera ses bâtards : à commencer par les deux derniers rejetons que lui donnera Louise, le premier, cette année même de la mort d’Anne d’Autriche (le 2 octobre), Marie-Anne de Bourbon, et le pauvre Vermandois, qui mourut en pleine adolescence. Et puis bientôt tous les fils et toutes les filles qu’il aura de la marquise de Montespan...
Mais pour le moment Athénaïs, bien installée dans l’aréopage de la reine Marie-Thérèse et dans l’amitié de Louise de La Vallière, continue, d’une manière habile, et peut-être insidieuse, de se mettre en valeur au regard du Roi. À telle enseigne qu’à la Toussaint de l’an 1666, le duc d’Enghien fera part à la reine de Pologne de... certaine inclination naissante : « Il paraît que le Roy y songe un peu, écrit-il, et pour dire la vérité, Mme de Montespan le mériterait bien car on ne peut avoir plus d’esprit ni plus de beauté qu’elle en a. »
C’est ici que l’on peut
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