Madame de Montespan
Noyer.
Le 20 janvier 1666 était morte Anne d’Autriche.
Dix-neuf jours plus tard, à Poitiers, Diane de Grandseigne dont la piété naturelle s’était accrue et la vertu renforcée avec l’âge, s’éteignait elle aussi. Le Roi et Athénaïs avaient donc perdu leur mère à quelques jours d’intervalle. Louis XIV pleura beaucoup, on l’a vu, mais l’on sait aussi que la disparition de la reine mère mettait fin à ce que l’on appellerait aujourd’hui son complexe d’OEdipe – car il en était plus ou moins atteint, comme tout un chacun –, le libérait, marquait le début de ses liaisons sentimentales officielles. Quant à M. de Mortemart, devenu veuf, duc et pair, et quoique âgé de soixante-six ans, il fréquenta dès lors la petite maison de Chaillot avec « une ardeur de vieux conquérant, plus asservi à Vénus qu’à Mars, qui provoquait l’admiration des bonnes gens ». Il aimait à y faire rouler, boucler entre ses doigts la chevelure brune de la présidente Tambonneau, sa cadette de seize ans, demeurée très désirable, encore que, précise Maurice Rat, « les saisons eussent donné à son teint d’ambre rosé une matité un peu trop uniforme ». Le bronzé intégral n’était pas encore au goût du jour, loin s’en faut ! Une peau blanche et laiteuse qui ne souffrait pas le moindre hâle, tel était le chic. Les visages brunis étaient réservés aux paysannes. Autres temps, autre mode.
Et Athénaïs ? Trompait-elle déjà son mari gascon dans des bras qui n’étaient pas encore ceux du Roi ? Voire... Le marquis de Montespan courait souvent par vaux et par monts, d’une campagne à l’autre, et la laissait donc seule, en tentation à des adorateurs qui ne faisaient pas défaut.
On a dit que Lauzun... mais on verra bientôt combien Athénaïs le détestait. On a prétendu que Monsieur... mais la chose est en elle-même invraisemblable. On a dit que La Fare... mais il avoua lui-même s’être promptement retiré en voyant que la belle le tournait en ridicule. Le jeune comte de Saint-Pol, quant à lui, ce frère cadet du duc de Longueville, lui fit une cour plus assidue, car il était bien béjaune et naïf, du haut de ses dix-sept ans ; mais nul ne peut dire s’il parvint à ses fins. On cite aussi le comte de Frontenac et à Versailles, on se plaira d’ailleurs, lorsque Athénaïs « sera au Roi », à chansonner ce petit couplet :
Je suis ravi que le Roi, notre Sire
aime la Montespan.
Moi, Frontenac, je me crève de rire
Sachant ce qui lui pend.
Et je dirai, sans être des plus lestes,
Tu n’as que mon reste, Roi,
Tu n’as que mon reste...
Ce qui est loin d’être prouvé !
Telle était la situation au début de l’an 1667. Et si Louis XIV n’avait pas été sans remarquer Athénaïs, il ne paraissait pas encore enthousiasmé.
— Elle fait ce qu’elle peut mais moi je ne veux pas ! aurait-il même déclaré à Monsieur, son frère.
Jusqu’à ce que l’on donne le ballet des Muses : la cour a quitté Fontainebleau pour Saint-Germain, fini le deuil de la reine mère, vivent les plaisirs et les divertissements publics. Le ballet des Muses : Jupiter, on s’en doute, n’est autre que le Roi-Soleil. Le rôle de Terpsichore revient à La Vallière, celui d’Euterpe à Henriette, quant à Polymnie, la pastourelle, elle se confond avec Athénaïs. Le tout sur un livret – aussi fade que bouffon – d’Isaac de Benserade.
Historiquement, cette représentation du 2 janvier est intéressante, car, pour en croire le librettiste, le Roi, ce soir-là, eut pour la Montespan – mais elle ne semblait guère y prêter attention, suprême adresse féminine – des égards et des regards qu’il n’avait jamais eus jusqu’alors. Mais faut-il croire le poète ? N’était-il pas, lui-même, secrètement amoureux de la marquise ? Au lendemain de cette mascarade, il écrira :
Elle est prompte à la fuite
Et garde une conduite
Dont chacun est surpris...
Vers sibyllins. Alors ? Quelle est l’allusion ? S’agirait-il d’une fin de non-recevoir de Polymnie à Jupiter ? ou de Benserade, le quinquagénaire de Lyons-la-Forêt qui aurait été clairement éconduit ? La deuxième supposition semble la plus vraisemblable.
OEillade de Louis XIV à Athénaïs, donc, mais oeillade qui n’empêchait pas, en ce nouveau printemps, Louise de La Vallière de connaître une nouvelle grossesse royale. La dernière. Car le 4 mai, en effet, note Alain Decaux dans
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