Madame de Montespan
Lussac...
On a dit parfois – et on l’a écrit – que Françoise de Rochechouart serait née dans une maison dite « le Grand Logis » qui héberge aujourd’hui un riche musée. Or, il est peu probable que les glorieux Rochechouart-Mortemart aient durablement séjourné dans cette maison, charmante au demeurant, avec sa cour intérieure et sa galerie Renaissance, mais sans aucune commune mesure avec leur blason. Il est plus vraisemblable, et M. Eygun, ancien conservateur des Antiquités historiques de la région Poitou-Charentes, l’affirme, que c’est dans la maison forte que naquit la future Montespan. Rien ne s’y opposait d’ailleurs, puisque ce château ne fut pas anéanti par les guerres de religion, comme on l’a quelquefois prétendu, mais par la grande tourmente. Donc, en octobre 1640, le château est toujours debout {3} .
Octobre 1640 : Louis XIII n’avait plus que trois années à vivre, Richelieu, deux. Vincent de Paul se dépensait corps et âme pour le salut de ses « enfants trouvés » ; le futur Louis XIV venait de fêter (le 5 septembre) son second anniversaire ; Louise de La Baume Le Blanc (alias La Vallière) ne verrait le jour que quatre ans plus tard, quant à Françoise d’Aubigné, la Maintenon en puissance, elle était âgée de cinq ans.
Au registre des baptêmes de Lussac n’apparaît que le seul prénom de Françoise. C’est elle-même, en effet, tout influencée sans doute par la préciosité qui sévissait alors, les Astrée et Céladon, Julie et sa guirlande ou l’incomparable Arthénice, qui se nomma Athénaïste. Et, l’érosion aidant, ce surnom précieux allait bientôt se transformer en Athénaïs. Prénom que nous lui conserverons dorénavant.
Gabriel {4} le père, qui avait vu le jour avec le XVII e siècle, était donc un solide quadragénaire au jour de la naissance d’Athénaïs. Diane, la mère, elle-même, on l’a vu, de très noble extraction, blonde, enjouée et pieuse, faisait la joie de « la chambre » d’Anne d’Autriche. Elle chantait délicatement, pinçait fort souplement la guitare, était capable de réciter les plus délicieux bouts-rimés, priait bien quand il le fallait, en bref, on la comptait au nombre des plus jolies femmes qui formaient l’aréopage de la Reine.
De son côté, Gabriel de Rochechouart, homme cultivé, spirituel et insolent, occupait au Louvre le poste de premier gentilhomme de la chambre du Roi. Un Roi auquel il semblait tout dévoué. Dévoué aussi au cardinal-duc {5} dont il avait embrassé la cause lors de l’affaire qui entraîna la décapitation de Cinq-Mars. Il était bien en cour donc, car il était adroit. Il savait vivre aussi, « il était un homme de plaisir qui ne doutait de rien, excepté de Dieu, peut-être » ; il aimait la chasse, la musique et l’amour.
L’amour de la présidente Tambonneau, en particulier, avec laquelle il fut du dernier bien pendant quelque vingt-deux années de sa carrière amoureuse. L’affaire avait commencé, alors qu’Athénaïs n’était encore qu’une enfant, en 1653 : à l’occasion, curieusement, des obsèques du comte de Trichâteau.
Ce Trichâteau, qui figurait au nombre des intimes de M. de Rochechouart de Mortemart, avait eu, en effet, la fâcheuse idée de rendre prématurément son âme à Dieu.
Gabriel était donc venu s’incliner devant sa dépouille mortelle. Le genre de cérémonie où, si l’on est émotif et inquiet, on prend conscience, on s’effraie de sa petitesse ; il est possible, au contraire, de s’y ennuyer à mourir... Et Gabriel aurait trouvé le temps long s’il n’avait remarqué, au nombre des affligés, une femme jeune, sincèrement émue, d’une de ces émotions que l’on ne peut ressentir que si l’on a été attaché au défunt par des liens feutrés. Il ne se trompait pas : la présidente Tambonneau, au deuil mesuré, mais sincère, avait bien contribué au bonheur terrestre de feu Trichâteau. Pourquoi ne pas la consoler, songea alors Gabriel ? Mme Tambonneau n’était-elle pas apparentée aux Noailles, eux-mêmes cousins des Mortemart ? Avec ce lignage voisin il tenait son entrée en matière.
Nul ne sait ce qu’il put confier à la veuve, mais toujours est-il qu’il parvint à sécher ses larmes. Les Mortemart passaient pour être galants, Gabriel ne faillait pas à cette réputation. Si bien que ce qui devait arriver arriva : trois semaines ne s’étaient pas écoulées depuis la mise au tombeau
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