Madame de Montespan
d’attaquer son implacable réquisitoire contre Athénaïs {30} . Il faut bien convenir, au vu de toutes ces fiches signalétiques et à la lecture des dépositions des principaux acteurs du drame, qu’un avocat de la défense, si la chose avait été jugée, aurait dû être un foudre d’éloquence pour parvenir à blanchir l’horrible cliente des messes noires !
Il n’est pas question, ici, que nous endossions sa robe, il serait simplement bon d’essayer de jeter un regard objectif, de ne pas accabler systématiquement l’accusée comme cela a été trop souvent fait, sans pour autant lui accorder la plus petite circonstance atténuante.
Du sang sur l’hostie...
IX
LE MYSTÈRE DE LA CHAMBRE ARDENTE
Le ministre de la police est un homme qui se mêle de ce qui le regarde et ensuite de ce qui ne le regarde pas.
T ALLEYRAND .
L’ ARSENAL : un nom qui sent, évidemment, la poudre !
Un nom qui pendant quelques années a fleuré la poudre de succession ! Sous Louis XIV, l’Arsenal, à deux pas de la Bastille, c’est un magasin d’armes... et à l’occasion, une chambre de justice. En 1664, le procès Foucquety avait été instruit. Aujourd’hui Foucquet s’étiole à Pignerol et l’Arsenal est devenu synonyme de « Chambre des Poisons », de chambre ardente. C’est un peu le quartier général de Nicolas de La Reynie.
Plus tard, en 1757, le bailli de l’artillerie, le marquis de Paulmy d’Argenson, ambassadeur et ministre de la Guerre, y créera une richissime bibliothèque. En 1785, l’élégant comte d’Artois (futur Charles X) l’achètera et saura l’enrichir. Un inventaire de cette « librairie », publié en 1830, comptera plus de 100 000 volumes et pas moins de 10 000 manuscrits ! Et parmi ces manuscrits, tous les documents qui avaient été récupérés dans les fossés de la Bastille, au soir de la grande curée du 14juillet ! «J’allai, écrit Restif de La Bretonne dans ses Nuits de Paris, pour voir commencer le siège de la Bastille et déjà tout était fini. La place était prise, des forcenés jetaient les papiers, des papiers précieux pour l’Histoire, du haut des tours, dans les douves... »
Il est vrai que tous ces documents auraient pu pourrir au pied de la muraille de la vieille citadelle ou être récupérés par le patriote-démolisseur Palloy qui les aurait sans doute bouillis, brassés, transformés en jeux de cartes et vendus fort cher !
Mais le sort a ses ironies et l’Histoire ses hasards : un sage passait par là, il était éclairé. Il récolta les feuillets et leur fit réintégrer le lieu où ils avaient été pour la plupart rédigés : le château de l’Arsenal, là où ils reposent désormais, à la disposition des chercheurs et curieux ; là où un bibliothécaire du siècle dernier, nommé François Ravaisson {31} , eut l’excellente idée de les publier presque tous. C’est grâce à cet érudit donc, que pour la première fois l’essentiel des dossiers et notes de La Reynie fut enfin mis en lumière {32} .
Mais cette lumière est voilée.
On disserte sur ce thème : l’Histoire est-elle ou n’est-elle pas une science exacte ? Les candidats aux baccalauréats à venir n’ont pas fini d’en découdre avec cette question vicieuse. En ce qui nous concerne, la réponse est négative : la culpabilité ou l’innocence d’Athénaïs repose, évidemment, sur un certain nombre de faits précis mais pour l’essentiel, cette énigme de la Montespan ne peut trouver sa solution que dans la personnalité, dans la psychologie de trois individus : Colbert, Louvois et La Reynie lui-même, constamment écartelé entre les deux ministres.
Il faut surtout éviter de prendre pour argent comptant toutes les dépositions consignées par le lieutenant de police. Il faut d’abord les situer dans le contexte des rivalités du moment. La grande preuve c’est que La Reynie lui-même, on le constatera, hésitera toujours, doutera souvent, se grattera le postiche, finira par ne plus savoir où est le blanc, où est le noir. Et il est pourtant le grand inquisiteur de l’affaire des poisons !
Il est donc certain que toute cette procédure aurait pu être conduite d’une manière plus intelligente, plus objective.
Sur la gravure de Van Schupen, burinée d’après un tableau de Mignard, Gabriel Nicolas de La Reynie ne nous apparaît pas éminent. Fine moustache brune, nez bourbon (ce qui était de bon ton à l’époque) mais pas
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