Madame de Montespan
encore parvenues à exorciser les grandes peurs, les fantasmes qui tenaillent l’humanité depuis la nuit des temps.
La médecine, d’autre part, n’est-elle pas d’une nullité accablante ? Paracelse n’a-t-il pas incendié tous les livres d’Hippocrate en proclamant qu’il n’y avait de bons que les remèdes des sorcières ? Il est vrai qu’elles avaient des calmants, nos commères, pour apaiser les douleurs, qu’elles disposaient de baumes pour cicatriser les blessures, qu’elles savaient mitonner les onguents et les émollients ; il est vrai surtout qu’elles étaient des psychothérapeutes avant l’heure quand elles agissaient sur les « maladies nerveuses » par la seule suggestion.
Il est vrai encore que ces gens-là étaient souvent de fieffés imposteurs n’hésitant pas, par exemple, à prescrire des pommes de chardon pour venir à bout des hémorroïdes ou de la fiente de faisan pour guérir les cors au pied ! Et si le traitement se montrait inefficace – ce qui était souvent le cas, on s’en doute – on passait alors aux prières. Jamais les saints n’ont tant fait recette qu’en ce siècle ! Notre-Dame la bien tournée était la protectrice des femmes enceintes ; Notre-Dame de la délivrance lui succédait, en favorisant les accouchements heureux ; sainte Claire, évidemment, pouvait redonner un oeil de lynx aux aveugles ; on priait saint Herbland pour la fenaison, quant à sainte Geneviève, elle était censée éloigner les vipères, ce qui, somme toute, ne lui demandait qu’un tout petit effort, eu égard à celui qu’elle avait fourni autrefois en éloignant de Paris Attila et sa horde sauvage.
Mais, a contrario, Saint-Aignan était tout à fait capable de vous faire attraper une bonne teigne (prononcer saint teignant) ; saint Hubert était souvent à l’origine de la rage (le mal de saint Hubert), quant à saint Roch il était le seul responsable de la silicose qui frappait les tailleurs de pierre !
Quoi d’étonnant alors, dans une époque où l’on raisonnait de façon aussi manichéenne, que, déçu par les prières, on ait pu très aisément se retourner vers la magie noire. Dieu et ses saints ne répondant pas, on n’avait aucun scrupule à cogner à la porte d’à côté, fût-elle celle de Méphisto !
Il est temps maintenant de nous pencher sur ce qu’aurait pu être le fichier du lieutenant général de police Nicolas de La Reynie et de découvrir les maudits que nous avons tout simplement classés par ordre alphabétique et non en fonction de leurs grades d’officiers ayant servi la cause de... l’Empire des morts. Dans un tel chaos de papiers de procédure, il nous est apparu que c’était la méthode la plus rationnelle.
B ARTHOMINAT Jean, dit La Chaboissière, du nom d’un petit chien qu’il possède. Né en Auvergne, âgé de trente-cinq ans environ. Domicilié faubourg Saint-Antoine. Grand et gros. Peau basanée. Signe particulier : possède un visage fort laid et fort grêlé. A été cavalier dans le régiment de M. le comte de Guiche de 1653 à 1658, année de son licenciement. Aujourd’hui valet du chevalier de Vanens, lui-même alchimiste compromis. Possède la science héréditaire des poisons. Inventeur de la « torminade », une poudre subtile avec laquelle il peut se défaire de qui il veut sans qu’il y paraisse. A déclaré lors de son interrogatoire : « Le chevalier de Vanens mériterait d’être tiré à quatre chevaux pour les conseils qu’il a donnés à Mme de Montespan. » (Cette déclaration fut considérée par le lieutenant de police comme le point initial du drame.)
B ESSONNET , bourgeois de Paris. Crédule, il a financé la cabale Vanens-Barthominat et consorts, espérant qu’avec ses subsides ils allaient résoudre le mystère de la pierre philosophale. Se sentant escroqué, il porte plainte. (Dans sa déposition, consignée dans les papiers de La Reynie, il dénonce tout ce qu’il sait de l’aventure dans laquelle Vanens l’a entraîné ; ne cite jamais le nom de Mme de Montespan.)
B OSSE , Marie-Marette, femme de François Mulpe, dite La Bosse. Fait commerce clandestin d’approvisionner en poisons les femmes désireuses de se défaire de leur mari. Ses deux fils et sa fille, Manon, sont également inculpés. La Bosse a avoué avoir livré une chemise imprégnée d’arsenic, moyennant 4 000 livres, à Mme de Poulaillon, et une semblable à Mme Brunei, qui voulait se remarier avec
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