Madame de Montespan
assez creux, l’oeil un peu globuleux, le menton gras, le front bas, dissimulé il est vrai par une épaisse perruque, le sourire satisfait, en bref une figure de grand honnête homme. Mais les affaires louches dépassent souvent l’imagination de l’honnête homme. Les extrêmes se rejoignent, un psychologue (faut-il le croire ?) nous a dit que dans tout policier il y a un escroc qui sommeille. La Reynie n’avait rien d’un escroc, lui. Il était donc un mauvais policier ? Il était trop honnête. Outrancièrement ambitieux, certes, mais trop honnête pour pouvoir appréhender un dossier qui avait les relents du vomi de l’enfer. Trop craintif aussi. Tenaillé qu’il était et ne voulant jamais faire ombrage au Roi-Soleil.
Lui demandait-on d’avoir un regard sur les « assemblées faites en vue de cabaler contre le gouvernement les attroupements à main armée, les émotions populaires, les vols et enlèvements, la destruction volontaire des objets publics ou la maquerellerie », il l’avait. Lui demandait-on de passer au peigne fin la cour des miracles, il la passait au peigne à poux ! Lui demandait-on d’installer l’éclairage public dans quelques rues mal famées de la capitale, il faisait toute la lumière ! Lui signalait-on que les ducs d’Elbeuf et de Montfort avaient entendu la messe du jour de Pâques avec « une grande irrévérence », il leur infligeait pénitence.
Il n’était pas sot, La Reynie, mais il était obéissant : « Veillez, lui avait ordonné le contrôleur général des Finances, Louis de Pontchartrain, à ce que les tailleurs utilisent les boutons de soie pour les habits au lieu des boutons d’étoffe qu’ils employaient jusques alors ! » (Il fallait en effet favoriser le commerce de la soie que Colbert avait industrialisée.) Là, Nicolas tousse et grogne. Il trouve que cette tâche n’entre pas dans ses attributions. Il est policier, pas mercier ! Et il le fait savoir au contrôleur général. Qui lui répondra sans délai : une lettre signée Louis de Pontchartrain qui mérite d’être publiée in extenso. «J’ai lu au Roi votre lettre entière au sujet des boutons d’étoffe. Elle a fait un effet tout contraire à ce qu’il semblait que vous vous étiez proposé car Sa Majesté m’a dit et répété très sérieusement, malgré toutes vos raisons, qu’Elle veut être obéie en ce point comme en toutes autres choses et que, sans distinction, vous devez confisquer tous les habits neufs et vieux où il s’est trouvé des boutons d’étoffe, et condamner à l’amende les tailleurs qui en ont été trouvés saisis. Condamnez donc avec rigueur tous ceux qui ont été ou qui pourraient être trouvés en contravention. »
Et La Reynie obtempéra. Le lieutenant général de police, le grand animateur de l’affaire des poisons, était docile, il obéissait même quand il s’agissait de boutons de culottes ! Il était donc « taillable et corvéable à merci » !
Sa contemporaine, Mme de Sévigné, le trouvait même « abominable » ! Primi Visconti estimait pour lui que « pour se trouver plus près du Roy il mettait sens dessus dessous les plus honnêtes familles de Paris ». Reste Jean Lemoine, ce chercheur du début de notre siècle, qui ira jusqu’à affirmer que Gabriel Nicolas de La Reynie était « un consciencieux imbécile » !
Un jugement par trop violent ! Saint-Simon, qui gravait pourtant souvent ses portraits à l’acide, et bien que La Reynie fût policier – fonction qu’il détestait ! –, semble beaucoup plus objectif : « La Reynie, conseiller d’Etat, si connu pour avoir tiré le premier la charge de lieutenant de police de son bas état naturel pour en faire une sorte de ministère
fort important, par la confiance directe du Roy, les relations continuelles avec la cour et le nombre de choses dont il se mêle, et où il peut servir ou nuire infiniment aux gens les plus considérables et en mille manières, obtint enfin, à quatre-vingts ans, la permission de quitter un si pénible emploi, qu’il avait le premier ennobli par l’équité, la modestie et le désintéressement avec lequel il l’avait rempli, sans se relâcher de la plus grande exactitude, ni faire de mal que le moins et le plus rarement qu’il lui était possible... »
Nous avons observé, évidemment, que le mémorialiste n’a pas omis de mettre l’accent sur le fait que cet ancêtre de nos ministres de l’Intérieur « pouvait
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