Madame de Montespan
servir ou nuire infiniment aux gens considérables et en mille manières ! ».
Quoi qu’il en soit, il était le grand patron de l’Arsenal et plus précisément de la chambre ardente ; une chambre ainsi baptisée en souvenir des temps médiévaux où les jeteurs de mauvais sort étaient jugés à la lueur des torches, dans des caves voûtées, tendues de drap noir. Cette chambre, c’est Louis XIV lui-même qui l’avait souhaitée. Echaudé par l’affaire de la Brinvilliers, trop de publicité, trop de scandale, un parlement de Paris partial, malhabile et laborieux, le 7 avril 1679, il tapait sur la table et signait les lettres patentes qui inauguraient cette juridiction spécialisée.
La première « cliente » de cette chambre avait été arrêtée un mois plus tôt, le dimanche 12 mars, sur le parvis de Notre-Dame de Bonne Nouvelle. Elle venait d’entendre la messe, elle s’appelait Catherine Deshayes, elle était la femme d’Antoine Monvoisin : la Voisin. La Reynie l’interroge, elle parle, elle donne des noms, les plus grands de France : le futur maréchal de Luxembourg par exemple, qu’elle accuse faussement d’avoir voulu supprimer son épouse ! Celui de la duchesse de Vivonne aussi, belle-soeur d’Athénaïs, épouse du maréchal Louis-Victor de Rochechouart, un mari trop encombrant selon ses révélations !
Informé par La Reynie, Louvois se frotte les mains. Premièrement, il n’aime plus les Rochechouart qui sont devenus les protégés de Colbert. Secundo, il déteste l’orgueilleux duc de Luxembourg qui porte ombrage à sa propre gloire. Cette fois l’occasion est belle. D’autant plus que l’amant et complice de la Voisin, Adam Coeuret, dit Lesage a été encore plus accablant dans ses aveux : il a affirmé que sa maîtresse avait effectué deux voyages à Saint-Germain où elle avait rencontré Mlles Catau et des OEillets, deux suivantes de Mme de Montespan !
Donc, aussitôt, Louvois écrit au Roi : « J’entretins avant-hier M. de La Reynie, qui m’apprit que les crimes des personnes détenues à Vincennes paraissaient tous les jours de plus en plus extraordinaires. Il me remit d’abord l’original de l’interrogatoire du nommé Lesage, que je n’ai point envoyé à Votre Majesté parce qu’il est trop long et mal écrit... M. de La Reynie est persuadé que, si je parle à Lesage, il achèvera de se déterminer à dire tout ce qu’il sait... »
Cette lettre date du 8 octobre ; quelques jours plus tard il se rendait à Vincennes dans la cellule du vieux donjon qu’occupait Adam-Coeuret-Lesage. On reste pantois devant la méthode employée par le secrétaire d’Etat à la Guerre ! On ne sait que peu de chose de cette entrevue, mais le peu qui a filtré a de quoi vous laisser songeur !
Louvois promet la vie sauve au maître empoisonneur à condition qu’il serve d’indicateur ! C’est une incitation à la délation, ni plus ni moins. Et Lesage, voulant sauver sa peau, n’hésitera pas à noircir le tableau. Un tableau sur lequel Athénaïs ne figure pas encore. Du moins pas sous le pinceau de la Voisin qui va pourtant subir, pendant une dizaine de mois, les interrogatoires répétés de La Reynie et consorts, sans oublier, sur la fin, les questions ordinaire et extraordinaire. Et puis ce sera le jugement : une sentence de mort. Le soir du 19 janvier 1680 on vint lui annoncer la décision de la chambre ardente. Ce soir-là, elle se soûla. Le vin aidant, et n’ayant plus rien à sauver, elle perdit ses ex-amis ou complices : elle accabla Lesage, la Chapelain, l’abbé Mariette etc. A cet instant La Reynie se rappelle sans doute qu’un proverbe latin affirme in vino veritas... et il la fait à nouveau questionner.
— Quel commerce avez-vous eu avec la Catau ?
— Je n’ai fait que lui regarder les lignes de la main, au Palais-Royal. Et je lui ai dit qu’elle serait aimée de personnes de qualité. Elle m’a priée de faire quelque chose pour la faire entrer au service de Mme de Montespan. J’ai accepté de m’occuper d’elle et lui ai demandé, à cet effet, une chemise qu’elle m’a fait porter par sa tante. J’ai commencé une neuvaine à l’église du Saint-Esprit mais ne l’ai point achevée. Depuis ce temps, je ne l’ai pas revue et n’ai jamais su si elle était entrée chez Mme de Montespan.
— Avez-vous eu quelque commerce avec Mlle des OEillets ?
— Non, je ne la connais pas du tout.
L’horrible Voisin restait
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