Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu
la
deuxième brigade avait éprouvé de grandes pertes dans un village de
la montagne quelques jours auparavant, en poussant une
reconnaissance du côté de Landau, et que, pour cette raison, on
l’avait mis à la réserve. C’est alors que j’ai vu qu’il savait
exactement les choses.
– Comment s’appelle ce
commandant ?
– Pierre Ronsart ; c’est un homme
grand, brun, les cheveux noirs.
– Ah ! je le connais bien, je le
connais dit Mme Thérèse, il était capitaine dans notre
bataillon l’année dernière ; comment ! ce pauvre Ronsart
est prisonnier ? Est-ce que sa blessure est
dangereuse ?
– Non, Feuerbach m’a dit qu’il en
reviendra ; mais il faudra quelque temps, répondit
l’oncle.
Puis, souriant, d’un air fin, les yeux
plissés :
– Oui, oui, fit-il, voilà ce que le
commandant m’a raconté. Mais il m’a dit bien d’autres choses
encore, des choses… des choses intéressantes… extraordinaires… et
dont je ne me serais jamais douté…
– Et quoi donc, monsieur le
docteur ?
– Ah ! cela m’a bien étonné, fit
l’oncle en serrant le tabac dans sa pipe du bout de son doigt et
tirant une grosse bouffée les yeux en l’air, bien étonné… ! et
pourtant pas trop… non, pas trop… car des idées pareilles m’étaient
venues quelquefois.
– Mais quoi donc, monsieur Jacob ?
fit Mme Thérèse d’un air surpris.
– Ah ! il m’a parlé d’une certaine
citoyenne Thérèse, d’une espèce de Cornélia, connue de toute
l’armée de la Moselle, et que les soldats appellent tout bonnement
la Citoyenne ! Hé ! hé ! hé ! il paraît que
cette citoyenne-là ne manque pas d’un certain courage !
Et se tournant vers Lisbeth et moi :
– Figurez-vous qu’un jour, comme le chef
de leur bataillon venait d’être tué, en essayant d’entraîner ses
hommes, et qu’il fallait traverser un pont défendu par une batterie
et deux régiments prussiens, et que tous les plus vieux
Républicains, les plus terribles d’entre ces hommes courageux
reculaient, figurez-vous que cette citoyenne Thérèse prit le
drapeau, et qu’elle marcha toute seule sur le pont, en disant à son
petit frère Jean de battre la charge devant elle comme devant une
armée ; ce qui produisit un tel effet sur les Républicains,
qu’ils s’élancèrent tous à sa suite, et s’emparèrent des
canons ! Comprenez-vous ça, vous autres ? – C’est le
commandant Ronsart qui m’a raconté la chose.
Et comme nous regardions Mme Thérèse,
tout stupéfaits, moi surtout, les yeux tout grands ouverts, nous
vîmes qu’elle devenait toute rouge.
– Ah ! fit l’oncle, on apprend tous
les jours de nouvelles choses ; ça, c’est grand, ça c’est
beau ! Oui… oui… quoique je sois partisan de la paix, ça m’a
tout à fait touché…
– Mais, monsieur le docteur, répondit
enfin Mme Thérèse, comment pouvez-vous croire ?…
– Oh ! interrompit l’oncle en
étendant la main, ce n’est pas ce commandant tout seul qui m’a dit
cela ; deux autres capitaines blessés, qui se trouvaient là,
en entendant dire que la citoyenne Thérèse vivait encore, se sont
bien réjouis. Son histoire du drapeau est connue du dernier soldat.
Voyons… oui ou non, est-ce qu’elle a fait ça ? dit l’oncle en
fronçant les sourcils et regardant Mme Thérèse en face.
Alors elle, penchant la tête, se mit à pleurer
en disant :
– Le chef de bataillon qui venait d’être
tué était notre père… nous voulions mourir, le petit Jean et moi…
nous étions désespérés.
En songeant à cela, elle sanglotait. L’oncle,
la regardant alors, devint très grave et dit :
– Madame Thérèse, écoutez, je suis fier
d’avoir sauvé la vie d’une femme telle que vous. Que ce soit parce
que votre père était mort, ou pour toute autre raison que vous ayez
agi de la sorte, c’était toujours grand, noble et courageux ;
c’était même extraordinaire, car des milliers d’autres femmes se
seraient contentées de gémir ; elles seraient tombées là sans
force, et l’on n’aurait pu leur faire de reproches. Mais vous êtes
une femme courageuse, et longtemps après avoir rempli de grands
devoirs, vous pleurez lorsque d’autres commencent à oublier ;
vous n’êtes pas seulement la femme qui lève le drapeau d’entre les
morts, vous êtes encore la femme qui pleure, et voilà pourquoi je
vous estime. – Et je dis que le toit de cette maison, habitée
autrefois
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