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Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Titel: Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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fourneau.
    Rien ne bougeait ; Scipio dormait sous le
fauteuil, la tête sur la hanche, et je me réchauffais depuis un
quart d’heure, écoutant bourdonner la flamme, lorsque Mme Thérèse,
qui semblait dormir, me dit d’une voix douce :
    – C’est toi, Fritzel ?
    – Oui, madame Thérèse, lui
répondis-je.
    – Tu te réchauffes ?
    – Oui, madame Thérèse.
    – Tu as donc bien froid ?
    – Oh ! oui.
    – Qu’est-ce que vous avez donc fait cet
après-midi ?
    – Nous avons posé des attrapes aux
moineaux, Hans Aden et moi.
    – Ah ! Et vous en avez pris
beaucoup ?
    – Non, madame Thérèse, pas beaucoup.
    – Combien ?
    Cela me saignait le cœur de dire à cette
honnête personne que nous n’en avions pas pris du tout.
    – Deux ou trois, n’est-ce pas,
Fritzel ? fit-elle.
    – Non, madame Thérèse.
    – Vous n’en avez donc pas pris ?
    – Non.
    Alors elle se tut, et je me fis une grande
idée de son chagrin.
    – Ce sont des oiseaux bien malins,
reprit-elle au bout d’un instant.
    – Oh oui !…
    – Tu n’as pas les pieds mouillés,
Fritzel ?
    – Non, j’avais mes sabots.
    – Allons, allons, tant mieux. Il faut te
consoler, une autre fois tu seras plus heureux.
    Comme nous causions ainsi, Lisbeth entra
laissant la porte de la cuisine ouverte.
    – Hé ! te voilà, dit-elle, je
voudrais bien savoir où tu passes tes journées ? toujours
dehors, toujours avec ton Hans Aden, ou ton Frantz Sépel.
    – Il a pris des moineaux, dit
Mme Thérèse.
    – Des moineaux ! si j’en voyais
seulement une fois un, s’écria la vieille servante. Depuis trois
ans, tous les hivers il court après les moineaux. Une fois, par
hasard, il a pris en automne un vieux geai déplumé, qui n’avait
plus la force de voler, et depuis ce temps il croit que tous les
oiseaux du ciel sont à lui.
    Lisbeth riait. Elle se remit à son rouet,
devant l’alcôve, et dit en trempant son doigt dans le
mouilloir :
    – Maintenant tout est prêt, quand
M. le docteur viendra, je n’aurai plus qu’à mettre la nappe.
Qu’est-ce que je racontais donc tout à l’heure ?
    – Vous parliez de vos conscrits,
mademoiselle Lisbeth.
    – Ah ! oui… depuis le commencement
de cette maudite guerre, tous les garçons du village sont
partis : le grand Ludwig, le fils du forgeron, le petit
Christel, Hans Goerner et bien d’autres, ils sont partis, les uns à
pied, les autres à cheval, en chantant :
Faterland !
Faterland !
avec leurs camarades, qui les conduisaient au
Kirschtâl, à l’auberge du père Fritz, sur la route de
Kaiserslautern. Ils chantaient bien, mais ça ne les empêchait pas
de pleurer comme des malheureux en regardant le clocher d’Anstatt.
Le petit Christel, à chaque pas, embrassait Ludwig en disant :
« Quand reverrons-nous Anstatt ! » L’autre
répondait : « Ah bah ! il ne faut plus penser à ça,
le seigneur Dieu, là-haut, nous sauvera de ces Républicains que le
ciel confonde ! » Ils sanglotaient ensemble, et le vieux
sergent venu tout exprès, répétait toujours : « En
avant !… Courage !… Nous sommes des hommes ! »
Il avait le nez rouge, à force de trinquer avec nos conscrits. Le
grand Hans Goerner, qui devait se marier avec Rosa Mutz, la fille
du garde champêtre, criait : « Encore un coup… encore un
coup… C’est peut-être le dernier plat de choucroute que nous voyons
devant nos yeux ! »
    – Pauvre garçon ! fit
Mme Thérèse.
    – Oui, reprit Lisbeth, et ça ne serait
encore rien, si les filles pouvaient se marier ; mais quand
les garçons partent, les filles restent plantées là, à rêver du
matin au soir, à se consumer et à s’ennuyer. Elles ne peuvent
pourtant pas prendre des vieux de soixante ans, des veufs, ou bien
des bossus, des boiteux ou des borgnes. Ah ! madame Thérèse,
ce n’est pas pour vous faire des reproches, mais sans votre
Révolution, nous serions bien tranquilles, nous ne penserions qu’à
louer le Seigneur de ses grâces. C’est terrible une République
pareille qui dérange tout le monde de ses habitudes !
    Tout en écoutant cette histoire, je sentais
une bonne odeur de veau farci remplir la chambre et je finis par me
lever avec Scipio, pour aller jeter un coup d’œil à la
cuisine : nous avions une bonne soupe aux oignons, une
poitrine de veau farcie et des pommes de terre frites. La chasse
m’avait tellement ouvert l’appétit, qu’il me semblait que j’aurais
tout avalé

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