Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Titel: Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
Vom Netzwerk:
lui
répondais-je.
    Lisbeth et moi nous montions l’escalier.
    Un quart d’heure après, le plus profond
silence régnait dans la maison.

II
     
    Or, un vendredi soir du mois de novembre 1793,
Lisbeth, après le souper, pétrissait la pâte pour cuire le pain du
ménage, selon son habitude. Comme il devait en résulter aussi de la
galette et de la tarte aux pommes, je me tenais près d’elle dans la
cuisine, et je la contemplais en me livrant aux réflexions les plus
agréables.
    La pâte faite, on y mit la levure de bière, on
gratta le pétrin tout autour, et l’on étendit dessus une grosse
couverture en plumes pour laisser fermenter. Après quoi, Lisbeth
répandit les braises de l’âtre à l’intérieur du four, et poussa
dans le fond, avec la perche, trois gros fagots secs qui se mirent
à flamboyer sous la voûte sombre. Enfin, le feu bien allumé, elle
plaça la plaque de tôle devant la bouche du four, et me
dit :
    – Maintenant, Fritzel, allons nous
coucher ; demain, quand tu te lèveras, il y aura de la
tarte.
    Nous montâmes donc dans nos chambres. L’oncle
Jacob ronflait depuis une heure au fond de son alcôve. Je me
couchai, rêvant de bonnes choses, et ne tardai point à m’endormir
comme un bienheureux.
    Cela durait depuis assez longtemps, mais il
faisait encore nuit, et la lune brillait en face de ma petite
fenêtre, lorsque je fus éveillé par un tumulte étrange. On aurait
dit que tout le village était en l’air : les portes
s’ouvraient et se refermaient au loin, une foule de pas
traversaient les mares boueuses de la rue. En même temps
j’entendais aller et venir dans notre maison, et des reflets
pourpres miroitaient sur mes vitres.
    Qu’on se figure mon épouvante.
    Après avoir écouté, je me levai doucement et
j’ouvris une fenêtre. Toute la rue était pleine de monde, et non
seulement la rue, mais encore les petits jardins et les ruelles aux
environs : rien que de grands gaillards, coiffés d’immenses
chapeaux à cornes, revêtus de longs habits bleus à parements
rouges, – de larges baudriers blancs en travers, – et la
grande queue pendant sur le dos, sans parler des sabres et des
gibernes qui leur ballottaient au bas des reins, et que je voyais
pour la première fois. Ils avaient mis leurs fusils en faisceaux
devant notre grange : deux sentinelles se promenaient
autour ; les autres entraient dans les maisons comme chez
eux.
    Au coin de l’écurie, trois chevaux piaffaient.
Plus loin, devant la boucherie de Sépel, de l’autre côté de la
place, aux crocs du mur où l’on écorchait les veaux, était pendu
tout un bœuf, à la lueur d’un grand feu qui montait et descendait,
illuminant la place ; sa tête et son dos traînaient à terre.
Un de ces hommes, les manches de sa chemise retroussées autour de
ses bras musculeux, le dépouillait ; il l’avait fendu du haut
en bas ; les entrailles bleues coulaient sur la boue avec le
sang. La figure de cet homme, avec son cou nu et sa tignasse, était
terrible à voir.
    Je compris aussitôt que les Républicains
avaient surpris le village, et tout en m’habillant, j’invoquai le
secours de l’empereur Joseph, dont M. Karolus Richter parlait
si souvent.
    Les Français étaient arrivés durant notre
premier sommeil, et depuis deux heures au moins ; car, lorsque
je me penchai pour descendre, j’en vis trois, également en manches
de chemise comme le boucher, qui retiraient le pain de notre four
avec notre pelle. Ils avaient épargné la peine de cuire à Lisbeth,
comme l’autre avait épargné la peine de tuer à Sépel. Ces gens
savaient tout faire, rien ne les embarrassait.
    Lisbeth, assise dans un coin, les mains
croisées sur les genoux, les regardait d’un air assez
paisible ; sa première frayeur était passée. Elle me vit au
haut de la rampe, et s’écria :
    – Fritzel, descends… ils ne te feront pas
de mal !
    Alors je descendis, et ces hommes continuèrent
leur ouvrage sans s’inquiéter de moi. La porte de l’allée à gauche
était ouverte, et je voyais dans le fruitier deux autres
Républicains en train de brasser la pâte d’une seconde ou d’une
troisième fournée. Enfin, à droite, par la porte de la salle
entrebâillée, je voyais l’oncle Jacob assis près de la table, sur
une chaise, tandis qu’un homme vigoureux, à gros favoris roux, le
nez court et rond, les sourcils saillants, les oreilles écartées de
la tête et la tignasse couleur de chanvre, grosse comme le

Weitere Kostenlose Bücher