Marco Polo
déclarant :
— Bien que, j’en suis sûr, vous ne puissiez pas
du tout imaginer pourquoi, il se trouve que vous avez frappé à la bonne porte,
Polo, pour votre conspiration. Comme, à vos yeux, il n’existe aucune différence
entre deux pages de caractères han, vous ne pouviez pas le savoir, mais
croyez-moi : bien contrefaire une écriture est loin d’être à la portée du
premier scribe venu. Il va falloir que je me souvienne, à présent, de la
calligraphie de Pao et que je m’entraîne jusqu’à ce que l’imitation coule de
source. Mais cela ne devrait pas me prendre trop de temps. Partez, maintenant,
et laissez-moi m’y mettre. Je viendrai vous remettre le document en main propre
dès qu’il sera prêt.
Tandis que je me dirigeais vers la porte, il ajouta,
d’une voix qui mêlait la gaieté au regret :
— Vous voulez que je vous confie autre
chose ? Ce pourrait être ici le couronnement de ma carrière, la pièce
maîtresse de toute mon œuvre.
Alors que je sortais, je l’entendis encore bougonner,
bien qu’avec une allégresse contenue :
— Tu ne pouvais pas trouver un travail que je
puisse signer « Chao Meng-fu » ? Maudis sois-tu, Marco Polo.
25
— Si tout se passe bien, expliquai-je à Ali,
l’Arabe sera envoyé devant le Caresseur. Et là, si tu y tiens, je peux demander
pour toi l’autorisation d’assister au supplice. Tu pourrais même aider maître
Ping à lui administrer la Mort des Mille.
— J’aimerais participer à sa mise à mort, c’est
vrai, marmotta Ali. Mais aider ce haïssable personnage qu’est le Caresseur...
C’est bien lui, m’as-tu dit, qui s’est occupé de ravager Mar-Janah ?
— En effet, et Dieu seul sait combien il peut
être haïssable, hélas. Mais, dans ce cas précis, il agissait sur un ordre
d’Ahmad.
J’avais regagné mes appartements pour constater, comme
je l’avais espéré, que mes servantes avaient servi à Ali Baba suffisamment de
liqueur pour noyer un peu son chagrin. Aussi, bien que ma confession, lorsque
je lui décrivis les circonstances du décès de Mar-Janah, lui eussent arraché
quelques hoquets d’horreur, des cris de douleur et des gémissements de regret,
il ne s’était pas laissé aller aux extravagantes gesticulations et autres
hurlements à la mort que tant de musulmans considèrent comme la seule forme
acceptable de lamentation. Bien sûr, je ne m’étais pas attardé sur ce qui
subsistait de Mar-Janah lorsque je l’avais retrouvée, ni sur ses dernières
minutes de vie.
— Oui..., confirma Ali après un long silence
pensif. Si tu peux l’arranger, j’aimerais être présent au moment de
l’exécution de l’Arabe. Privé de Mar-Janah, je n’ai plus d’autres désirs que
celui-là. Que ce vœu puisse m’être accordé, cela me suffira.
— J’y veillerai... si bien sûr tout se passe
bien. Tu pourrais t’asseoir là et implorer Allah que ce soit le cas.
Ce que disant, je me levai de mon propre siège et me
remis à genoux afin de trier mes souvenirs. Tandis que je ramassais différents
objets, j’eus la curieuse impression qu’un élément avait disparu. Je m’assis et
réfléchis. Qu’est-ce que cela pouvait bien être ?
J’avais retrouvé le sceau du ministre Pao, puisque je
l’avais emporté moi-même. Pourtant, il manquait quelque chose dans ce que
j’avais sorti de... Soudain, je compris.
— Ali, hélai-je. N’aurais-tu pas, par hasard,
ramassé un objet dans le bazar que j’avais laissé traîner, durant mon
absence ?
— Non, non, rien, répondit-il, montrant
visiblement qu’il n’y avait même pas prêté attention, ce qui était aisé à
imaginer, compte tenu de son affliction et de l’étourdissement qu’il devait
ressentir.
J’interrogeai les deux servantes mongoles, lesquelles
affirmèrent n’avoir touché à rien. Je rejoignis Hui-sheng, que je trouvai dans
la chambre en train d’installer avec soin ses quelques vêtements et objets
personnels dans les coffres et les tiroirs. Cela me fit sourire, car cela
signifiait qu’elle envisageait de rester, et pas pour quelques jours seulement.
Je pris sa main et l’emmenai au salon. Lui montrant mes bagages éparpillés sur
le sol, je la questionnai par gestes. Elle montra clairement qu’elle avait
compris, mais secoua négativement sa jolie tête. Il ne restait qu’une solution.
Seul Matteo pouvait s’être servi. L’objet manquant
n’était autre que la petite fiole de terre cuite qui
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