Marco Polo
hommes
de quelque marque de...
— Lis, lis, acquiesça-t-il avec indulgence.
Je commençai à lui en donner lecture, tandis qu’il
posait négligemment de côté la plaque et la lettre qu’il m’avait confiées et
dépliait sans y prêter plus d’attention le papier de maître Chao après y avoir
jeté un regard machinal. Dès qu’il vit qu’il était rédigé en caractères han, il
le fit passer d’un geste tranquille à la Langue, son serviteur polyglotte, et
continua d’écouter mon énumération. Alors que je m’évertuais à déchiffrer ma
propre liste gribouillée de façon peu lisible – « Un nommé Gegen, de la tribu
Kurai... un autre du nom de Jassak, qui fait partie des Merkit... un certain
Berdibeg, Merkit lui aussi... » –, la Langue bondit soudain sur ses pieds
et, malgré sa parfaite maîtrise d’innombrables idiomes, émit un cri inarticulé.
— Vakh ! s’exclama
le khakhan. Quelle mouche t’a piqué, homme ?
— Sire ! s’étrangla la Langue d’un ton
surexcité. Ce papier... est un document de la plus haute importance ! Il
requiert toute votre attention et doit primer sur tout le reste ! Ce
message, là... amené par l’homme ici présent.
— Marco ? fit Kubilaï en se tournant vers
moi. Tu m’as dit qu’on l’avait trouvé sur l’ancien ministre Pao, c’est bien
cela ? (Je le lui confirmai.) Eh bien ? ajouta-t-il, se retournant de
nouveau vers la Langue.
— Peut-être préférerez-vous, Sire... (Il pointait
du doigt ma personne, mais aussi les gardes et les officiels déjà installés
dans le hall.) Peut-être serait-il préférable de vider la pièce avant que je
vous en divulgue le contenu.
— Divulgue-le, grogna le khan, et je déciderai si
le hall a besoin d’être vidé.
— Qu’il soit fait selon vos ordres, Sire. Bien,
euh... Je pourrai vous en livrer une traduction littérale, si vous le
souhaitez, mais sachez que cette lettre est paraphée du sceau de Pao Nei-ho. Et
elle fait allusion... elle sous-entend... que dis-je, elle révèle nettement une
conspiration entre votre cousin l’ilkhan Kaidu et... l’un de vos plus fidèles
ministres.
— Vraiment ? lâcha Kubilaï, le sourcil
froncé. Dans ce cas, je pense qu’il vaudrait mieux que personne ne
quitte ce hall ! Continue, la Langue.
— En bref, Sire, il apparaît que le ministre Pao
qui, nous le savons tous ici, était un imposteur, voulait éviter à son Yunnan
natal la dévastation. Et il semble que Pao ait réussi à persuader l’ilkhan
Kaidu, peut-être en l’achetant, car il est à un moment question d’argent, de
marcher vers le sud et de jeter ses forces sur les arrières de notre armée
occupée à envahir le Yunnan. Cela aurait été un acte spectaculaire de rébellion
et une véritable guerre civile qui aurait impliqué, du moins l’espérait-on,
votre départ sur place. Sur quoi, profitant de votre absence et de l’inévitable
confusion suscitée, le... le vice-régent Ahmad devait s’autoproclamer
khakhan...
Tous les officiels du Cheng assemblés se récrièrent
d’horreur : « Vakh ! » et « Quelle
honte ! » ou « Aiya ! », parmi d’autres
expressions indignées.
— ... Sur quoi, poursuivit la Langue, le Yunnan
devait se soumettre au nouveau khakhan Ahmad, sur la promesse d’une paix
clémente. Après cela, il semble qu’ils aient été d’accord là-dessus, les Yi
devaient s’allier à Kaidu et aider ce dernier à conquérir l’empire Song. Quand
tout serait fait, Ahmad et Kaidu se partageraient en deux le khanat, ainsi que
la souveraineté.
De nouveaux « Vakh ! » et autres « Aiya ! » fusèrent. Kubilaï n’avait encore émis aucun
commentaire, mais sa face ressemblait à une sombre tempête de sable buran qui
se levait sur le désert. Tandis que la Langue s’était tue, semblant attendre un
ordre, les ministres faisaient circuler la lettre parmi eux.
— Est-on sûr qu’elle est de la main de Pao ?
demanda l’un d’eux.
— C’est certain, affirma un autre. Il écrivait
toujours en caractères courts, au détriment de la graphie haute qu’on utilise
habituellement.
— Et là, vous voyez ? ajouta un troisième.
Pour parler d’argent, il a utilisé le caractère « cauri », la monnaie
en usage chez les Yi.
— Qu’en est-il de sa signature ? interrogea
un autre.
— Cela semble être la sienne.
— Qu’on aille quérir le Maître des Sceaux !
— Personne ne doit quitter la pièce.
Mais
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