Marco Polo
affaire
commerciale ou la négociation d’un traité, se montrera conciliant, se
comportant à ton égard avec la plus grande souplesse. Il cherchera à entrer
dans tes bonnes grâces et ne fera pas obstacle à ta bonne fortune, caressant le
secret espoir de faire de sa nièce ou de sa fille ta compagne et la mère de tes
héritiers.
Si je n’avais écouté que mon instinct, cet avis
m’aurait poussé à hâter au contraire la cérémonie de l’assiette, tant je
répugnais à associer ma vie privée à tout ce qui ressemblait de près ou de loin
à une « bonne affaire ». Mais Hui-sheng elle-même, avec une certaine
vigueur, insista pour me faire remarquer que, si elle devenait ma femme, elle
serait astreinte elle aussi à l’observation des traditions, qui
supposaient, de la part de l’épouse, la subordination que tous considéraient
comme de mise, et qu’elle ne pourrait plus chevaucher joyeusement à mon côté.
Elle devrait en effet, si tant est qu’on acceptât qu’elle accomplît un voyage,
le faire dans un palanquin fermé et n’aurait plus le loisir d’assister aux
conférences entre hommes, sans compter que la tradition l’obligerait également
à...
— Assez, assez ! fis-je, riant de la voir
s’agiter ainsi.
Saisissant au vol ses doigts qui virevoltaient, je lui
fis la promesse solennelle que rien ne me forcerait jamais à
l’épouser.
Aussi restâmes-nous des amants éternels, ce qui était
sans doute le plus beau mariage qui pût se concevoir. Je ne la traitais pas
comme mon épouse, donc mon inférieure, lui accordant au contraire (et
j’insistais pour que les autres fassent de même) la plus parfaite égalité.
Qu’on ne se hâte pas d’y voir une trop grande longanimité de ma part : à
maints égards, je la considérais comme bel et bien supérieure à moi, et les
plus perspicaces de ceux que je rencontrai partagèrent mon avis. Cependant, je
la traitai en épouse – et des plus noble – lui offrant quantité de bijoux de
jade et d’ivoire, les vêtements les plus précieux, et comme monture une superbe
jument issue des « coursiers dragons » personnels du grand khan. Le
seul sujet sur lequel j’exigeai de me comporter en mari, fut l’interdiction en
toutes circonstances de voiler sa face de produits cosmétiques à la mode de
Khanbalik. Elle s’y plia avec plaisir, aussi son teint de pêche ne fut-il
jamais altéré par une épaisse couche de blanc de riz, ses lèvres pourpres comme
le vin ni décolorées ni redessinées de peintures criardes, et ses sourcils
lisses comme la plume restèrent exempts de toute épilation. Son apparence était
si radieuse et fraîche que toutes les femmes maudissaient la mode et leur
propre addiction à celle-ci. Je laissai Hui-sheng se coiffer comme elle
l’entendait, puisque jamais elle n’adoptait une coiffure qui me déplût. Je pris
plaisir à lui offrir des peignes de pierres précieuses et les pinces assorties.
Pour ce qui est de l’or, du jade et des bijoux, elle
en eut bientôt plus qu’une khatun aurait pu en désirer, mais il est une chose
qu’elle chérissait par-dessus tout. J’y attachais tout autant de valeur, bien
que j’affectasse de ne point y tenir et que je l’eusse enjoint de le jeter à
plusieurs reprises. C’était un objet que je ne lui avais pas offert, mais qui
faisait partie des quelques malheureuses possessions qu’elle avait apportées
lorsqu’elle m’avait rejoint : ce ridicule et inélégant petit encensoir de
porcelaine blanche. Avec une attention adorable, elle le transportait partout
où nous nous rendions, dans un palais, dans un caravansérail, dans une yourte
ou même une tente en plein champ, veillant à y répandre cette douce senteur de
trèfle chaud juste après la pluie qui accompagnait nos nuits.
Toutes nos nuits...
Nous n’étions qu’amants, pas mari et femme. Je n’en
invoquerai pas moins le caractère privé du mariage pour ne pas évoquer le
détail de nos occupations nocturnes. Il est vrai que j’ai déjà par le passé
commenté sans réserve certaines de mes relations intimes, mais pour ce qui est
de Hui-sheng et moi, je préfère conserver cela pour nous seuls.
Je me contenterai de quelques observations générales
au sujet de l’anatomie. Cela ne violera pas l’intimité de Hui-sheng et ne fera
rougir personne, car elle a souvent maintenu qu’elle n’était en rien différente
des autres filles Min, lesquelles étaient selon elle semblables aux Han,
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