Marco Polo
canal au fond duquel
le citron se déploya, avidement et presque avec amour.
Quand je retirai ma main, Hui-sheng souriait encore
(peut-être à l’expression de mon visage rougissant ou à la façon dont je
retenais mon souffle), et sans doute confondit-elle mon désir avec de
l’inquiétude, car elle se hâta de m’assurer que le bouchon de citron
préviendrait tout accident de la façon la plus sûre. Elle ajouta qu’il était probablement
supérieur à tous les autres moyens utilisés, telles la graine de fougère des
Mongoles, l’insertion par les femmes Bho d’une noix irrégulière de sel de
roche, la stupide technique des Hindoues qui consistait à s’envoyer dans les
profondeurs des bouffées de fumée de bois ou la méthode des femmes Champa qui
couvrent l’organe de leur mari d’un petit capuchon en écaille de tortue. La
plupart de ces dispositifs m’étaient inconnus, aussi ne puis-je me prononcer
sur leur sens pratique. Mais j’eus plus tard la preuve de l’efficacité du
citron. Et je découvris également, cette même nuit, ce que cette méthode avait
de plus agréable que les autres, sans doute, ajoutant aux délicieuses
émanations naturelles de l’impeccable intimité de Hui-sheng une senteur fraîche
et acidulée...
Mais restons-en là. J’ai dit que je ne m’étendrais pas
sur le détail de nos rencontres charnelles.
27
Quand nous partîmes pour Hangzhou, notre convoi était
constitué de quatre chevaux et d’une douzaine d’ânes. L’un des chevaux était la
jument blanche aux longues jambes de Hui-sheng ; les trois autres, moins
beaux, étaient le mien et ceux de nos deux cavaliers d’escorte. Les ânes
transportaient nos sacs de voyage, mais aussi un scribe Han (lequel me
servirait d’interprète et écrirait pour moi lorsque le besoin s’en ferait
sentir), l’une de mes servantes mongoles (censée servir Hui-sheng) ainsi que
deux esclaves affectés aux corvées du campement et autres besognes physiques.
À ma corne de selle pendait une nouvelle plaque de
Kubilaï en ivoire incrusté d’or, mais ce n’est qu’une fois sur la route que
j’ouvris les documents de mission qu’il m’avait confiés. Ils étaient, comme il
se doit, rédigés en langue han, afin de pouvoir être lus par les officiels
Manzi auxquels j’aurais à les présenter, aussi ordonnai-je à mon scribe de les
déchiffrer pour moi. Ce dernier me rapporta, avec un respect teinté
d’admiration et d’un brin d’effroi, que j’étais nommé agent du Trésor impérial
et que l’on m’accordait le rang de kuan, lequel signifiait qu’hormis le
seigneur wang tous les autres officiels, des magistrats aux préfets en
passant par les gouverneurs, seraient tenus de m’obéir. Le scribe ajouta, en
guise d’information : « Le kuan Polo se verra autorisé à
porter le bouton de corail. » Il prononça ces mots comme s’il s’agissait
du plus grand honneur imaginable, mais je ne me rendis compte que plus tard de
son importance réelle.
La route qui traversait en direction du sud la
province de Chih-li, la grande plaine de Kithai, était facile et agréable,
presque plane, de surcroît. Cette terre agricole, qui s’étend d’un horizon à
l’autre, était divisée en minuscules parcelles familiales d’un ou deux mou de
surface tout au plus, toutes encloses. Comme on ne trouvait apparemment pas
deux familles voisines pour s’accorder sur la culture seyant à la terre et à la
saison, l’une cultivait le blé, une autre le millet, une autre encore semait le
trèfle ou entretenait un jardin potager. De sorte que cette étendue de terre
cultivée se présentait tel un damier tacheté de toutes les teintes, couleurs et
nuances existantes de vert. Après le Chih-li s’ouvrait la province du Shandong,
où poussaient des bosquets de mûriers dont les feuilles servent à nourrir le
ver à soie. C’est de cette région que provient cette lourde soie si estimée que
l’on désigne du même nom de shandong.
Ce qui me frappa sur toutes les grandes routes de
cette région méridionale de Kithai fut l’abondance de panneaux indicateurs.
Incapable de lire l’écriture han, je demandais à mon scribe de me les traduire.
Cela se présentait sous la forme d’une colonne érigée au bord de la route, avec
un panneau dirigé dans chaque direction, dont l’un proclamait : « Au
nord vers Gai-ri, dix-neuf li » tandis que l’autre affichait :
« Au sud vers Zheng-ning, vingt-huit li ». Ainsi
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